Travailler sur soi-même
Lama Denys et Philippe Kerforne
Le désir de travailler avec les problèmes que nous rencontrons dans notre vie, nos interrogations, nos insatisfactions, est le début du cheminement.
Cette attitude requiert courage et persévérance. Cheminer repose sur une discipline, celle de la santé fondamentale : abandonner les activités malsaines, sources de problèmes et de souffrances, développer les qualités d’ouverture et de chaleur qui nous amèneront à mieux communiquer, mieux comprendre les autres et mieux expérimenter ce qui nous entoure.
Lama Denys, avant de chercher à comprendre ce qu’est une voie spirituelle, une première question s’impose : quelle est véritablement l’utilité d’effectuer un travail sur soi-même, et de suivre une recherche intérieure ?
Nous sommes tous, au cours de notre vie, confrontés à des problèmes, des interrogations et des insatisfactions. Nous sommes exposés à la souffrance sous des formes variées. Cependant, cette situation n’est pas inexorable : nous pouvons, si nous le voulons, travailler sur nous-même et notre situation pour atteindre un état de plus grande liberté et de bien-être. Le cheminement spirituel du Bouddha propose un parcours vers la plénitude intérieure : un état de paix, de liberté et de bonheur. Celui-ci ne peut se réaliser que par la transformation de nous-même, qui permet à son tour celle du monde qui nous entoure. C’est le sens de toute recherche intérieure.
En général, quelle devrait être notre attitude face aux questions fondamentales de l’existence ?
Qui que nous soyons, nous sommes confronté à toutes sortes d’interrogations parmi celles-ci : “Qu’est-ce que la vie, la mort, la réalité au-delà, qui suis-je ? Un cheminement est-il possible ou non ?”. Ces questions accompagnent l’homme tout au long de son existence. Généralement elles se posent d’abord dans la jeunesse et ressurgissent bien plus tard. Elles sont à la base de toute réflexion essentielle et de tout cheminement.
La première manière de les traiter, et la plus courante, consiste à les éviter, comme de faux problèmes. Ne sachant comment y répondre, on les classe vite dans la catégorie des “questions insolubles” en se disant : “Il n’y a pas vraiment de réponse, alors à quoi bon essayer d’en chercher une.” C’est une attitude qui manque de courage et d’intelligence. Ce refoulement est une fausse solution, car il suffira d’une maladie, d’un accident, d’un instant de déprime ou de l’approche de la mort pour que ces problèmes remontent à la surface.
Il y a aussi une autre possibilité qui consiste à s’engager dans un travail de recherche ou de questionnement essentiel qu’on peut qualifier de “spirituel”. Une recherche véritable est la voie du courage : elle demande beaucoup de détermination et de remise en question. La facilité est de se satisfaire d’une attitude qui, sans nous remettre en question, nous conforte dans notre cocon habituel. S’engager sur le chemin spirituel, résolument et avec sincérité, est une route étroite et ardue, mais qui apporte finalement plus de satisfactions authentiques que l’autoroute des facilités factices que nous sommes tentés d’emprunter habituellement.
Vous dites que nous nous posons des questions parce que nous sommes exposés à plusieurs sortes de problèmes, qu’entendez-vous par là ?
Il y a plusieurs niveaux de problèmes : le premier, le plus subtil et le plus profond réside dans le seul fait d’être, d’exister, et dans les limitations qui y sont inhérentes. A ce niveau se situe aussi l’incertitude fondamentale de notre être : “qui sommes-nous”, “que sommes-nous”, “pourquoi et comment existons-nous” ? Cette interrogation existentielle fondamentale est primordiale, mais généralement ne nous préoccupe guère car nous sommes obnubilés par des urgences beaucoup plus concrètes et quotidiennes.
Le deuxième niveau de problèmes auquel nous sommes exposés est, paradoxalement, celui du plaisir ou de l’attachement aux plaisirs. Nous sommes tous à la poursuite d’un bonheur que nous pensons généralement trouver dans la satisfaction des sens. Cette quête est la principale motivation d’un être ordinaire. Le problème du plaisir est connecté à celui du déplaisir, c’est-à-dire à celui de sa fin, la fin de la jouissance, avec le manque qui en résulte. Nous sommes en permanence pris dans des cycles plaisir-déplaisir, jouissance-frustration qui sont sources de problèmes et de souffrances.
Le troisième niveau de problèmes est constitué par des difficultés beaucoup plus concrètes comme les souffrances psychologiques ou physiques, ou parfois leur accumulation. Prenons un exemple : vous partez en vacances. En route, votre voiture tombe en panne. Vous la garez sur le côté. Il y a du brouillard et un camion la percute. Quand la police arrive, une autre mauvaise surprise vous attend : vos papiers ont disparu ! On vous emmène au poste de police et comme vous n’avez pas de preuves de propriété du véhicule, vous êtes suspecté de l’avoir volé, et gardé à vue. De plus, vous étiez à l’étranger et comme votre visa arrive à expiration, vous êtes expulsé. En rentrant en France, vous apprenez que vous êtes licencié et que votre femme vous a quitté ! Là-dessus, on vous dit qu’un ami très cher a une grave maladie et qu’il risque de décéder… On s’arrêtera là (rires). C’est la souffrance ordinaire. Ce sont tous les problèmes concrets qui s’accumulent les uns à la suite des autres.
Nous sommes en permanence exposés à ces trois niveaux de problèmes. Ils se construisent les uns sur les autres, les plus grossiers se développant sur la base des conditionnements posés par les plus subtils.
Souvent la souffrance n’est pas terrible et apparente, mais plus insidieuse. Cela amène certaines personnes à vous dire : “C’est bien beau tout cela, pourtant ma vie me satisfait. Je ne vois pas pourquoi j’en changerais.”
Le problème est qu’habituellement les choses vont bien pendant un certain temps jusqu’à ce qu’une difficulté surgisse et bouscule l’apparence de bien-être. A ce moment-là, c’est le chaos, la catastrophe. Il est sage de se résoudre à admettre que certains problèmes sont inhérents à notre existence et d’être prêts à les traiter même si, actuellement, il se peut que nous n’y soyons pas particulièrement confrontés. Parmi les trois catégories de problèmes que nous venons d’évoquer, en fait, seule la dernière est vraiment perceptible par le plus grand nombre. Les deux autres sont plus subtiles, la première est même de prime abord imperceptible.
Pratiquement, un état dans lequel on dit ne pas avoir de problèmes est plus souvent une situation de refus ou de manque de lucidité qu’un véritable état de bien-être ou d’absence de difficultés. Nous avons tendance à occulter les difficultés, histoire de dire que tout va bien, mais elles subsistent et à l’occasion réapparaissent. Il est sage d’être réaliste : même si la conscience de celles-ci n’est pas toujours aiguë, elles sont, cependant, sous des aspects subtils ou grossiers, inhérentes à notre existence conditionnée. En prendre conscience est le point de départ qui permettra d’entreprendre le travail libérateur.
Vous dites que l’attachement aux plaisirs est un de nos gros problèmes. Comment faut-il alors utiliser nos sens ? Faut-il honnir définitivement tout sentiment de contentement ou de satisfaction par les sens ?
D’un côté l’attachement aux plaisirs des sens est un problème, et de l’autre, leur rejet en est un autre. C’est un point important qui est souvent source de malentendus. L’approche spirituelle préconisée par le dharma est une “voie du milieu” qui évite les extrêmes et propose un juste usage des sens. Le Bouddha lui-même, au cours de son parcours spirituel, s’est d’abord engagé sur une voie de renoncement total aux gratifications sensorielles. Il s’est consacré totalement pendant cinq ans à la pratique du yoga, au jeûne et à toutes sortes d’abstinences avec des maîtres hindous. Il a fini par se rendre compte qu’il faisait fausse route et que cette approche d’ascétisme extrême ne l’amènerait pas à l’éveil. Sa pratique, puis son enseignement, ont ensuite été une voie moyenne entre l’ascétisme et la recherche du plaisir, c’est-à-dire un cheminement équilibré dans lequel le juste usage des sens évite les comportements extrêmes que sont d’une part la luxure et l’attachement aux plaisirs des sens et, d’autre part, l’ascèse mortifère et le rejet des plaisirs sensoriels.
Dans la perspective de cette voie moyenne, l’important est de développer une relation juste aux objets des sens et aux plaisirs qui y sont associés. Les plaisirs, les satisfactions et les expériences sensorielles agréables ne sont pas en eux-mêmes des entraves au développement spirituel. L’obstacle vient des fixations et des attachements que l’on développe sur ceux-ci.
Mais, dans la vie courante, comment pouvons-nous contrôler nos sens ?
Au début, nous sommes toujours attachés aux plaisirs, aussi, est-il d’abord important de savoir nous imposer des limites. Si nous n’avons pas de retenue, nous nous adonnons à toutes sortes d’excès et nous nous retrouvons dans des situations qui deviennent rapidement passionnelles et conflictuelles. Nous contrôlerons donc nos sens en fixant des bornes à la liberté d’action que nous leur accordons. Nous nous tiendrons à une discipline qui est un cadre protecteur dans lequel le développement intérieur peut prendre place. Il est futile de vouloir entreprendre un travail intérieur si l’on n’est pas déjà capable, au niveau extérieur le plus simple, d’avoir une activité relativement cohérente et ordonnée. Le cheminement commence donc par l’apprentissage d’un comportement réglé au niveau du corps, de la parole et de l’esprit. Cette discipline n’est pas une morale religieuse ou laïque, mais plutôt un ensemble de règles qu’on pourrait dire de “santé spirituelle” : certaines activités sont à abandonner car elles sont malsaines, c’est-à-dire source de problèmes et de souffrances, tout comme certaines nourritures sont à proscrire si l’on veut éviter la maladie. Si votre alimentation est trop riche en graisses, votre taux de cholestérol va augmenter, si votre consommation d’alcool est trop importante, vous aurez une cirrhose, si vous fumez trop, de l’artérite, etc… D’une façon similaire, les passions sont source de maladies spirituelles. Si vous fonctionnez agressivement, vous produisez des causes qui auront des conséquences douloureuses. Toutes les passions sont pathogènes au niveau de l’esprit, tout comme les excès alimentaires le sont au niveau du corps.
La discipline du dharma nous propose donc un certain nombre de règles du corps, de la parole et de l’esprit. Ces règles consistent à abandonner autant qu’on le peut ce qu’on appelle “les dix actes négatifs” qui sont source d’attitudes passionnelles, conflictuelles et finalement douloureuses pour autrui comme pour nous-mêmes.
La discipline extérieure est donc, dans l’esprit que nous avons expliqué, fondée sur l’abandon de ces dix activités négatives et la pratique de ces dix activités positives. C’est dans ce cadre que peut se développer harmonieusement la discipline intérieure qu’est la pratique de la méditation.
Pourriez-vous nous dire quels sont ces dix actes négatifs ?
Il y en a trois du corps, quatre de la parole et trois de l’esprit. Au niveau du corps, on évitera : de tuer, de voler et une mauvaise sexualité.
Au niveau de la parole, on apprendra à faire bon usage de celle-ci en évitant : de mentir, de créer la dysharmonie, d’utiliser des mots blessants qui heurtent l’esprit d’autrui, et de parler de façon frivole et futile.
Au niveau de l’esprit, on évitera : la possessivité, la malveillance et les conceptions erronées.
A l’inverse de ces dix actes négatifs, on apprendra à cultiver les dix actes positifs, qui sont les contraires des dix négatifs : protéger la vie, être généreux, avoir une vie sexuelle juste ; parler de façon franche, créer l’harmonie par ses paroles, utiliser un discours plaisant, et parler à bon escient. On apprendra aussi à se satisfaire de ce que l’on a, à être bienveillant et à comprendre les choses de façon juste.
Que deviennent les émotions et les passions dans cette discipline intérieure de la méditation ?
La discipline intérieure, la pratique de la méditation, est l’apprentissage d’une relation juste à notre esprit et à nos expériences sensorielles. C’est un processus de libération puis de transmutation des attachements émotionnels. Les expériences sensorielles sont fondamentalement des énergies. C’est possédées par l’ego qu’elles nous enchaînent au samsara c’est-à-dire à l’existence conditionnée, alors que libérées de ses fixations elles deviennent finalement une énergie de sagesse. Cette perspective du vajrayana dans laquelle l’énergie des émotions se met au service de la sagesse est le niveau final des enseignements du Bouddha. C’est une transformation des énergies spirituelles ; lorsqu’elle est devenue effective, non seulement les gratifications sensorielles ne sont plus des obstacles, mais elles deviennent même, selon une expression traditionnelle, “du bois apporté au bûcher de la sagesse”. Mais n’allons pas trop vite. L’important est d’abord de réaliser le véritable non-attachement et, avant même, la discipline extérieure.
La discipline extérieure est le cadre dans lequel peut se développer la pratique de la méditation et dans celle-ci, une altitude intérieure de non-attachement par rapport à notre environnement et à nous-même. La méditation amène ainsi une liberté plus grande vis-à-vis de toute expérience et une qualité de vie beaucoup plus authentique. Il devient possible, par sa pratique, de mieux communiquer, de mieux comprendre les autres, et d’expérimenter ce qui nous entoure d’une façon beaucoup plus ouverte et chaleureuse.
Dans ce non-attachement ne risquons-nous pas de devenir indifférents au monde qui nous entoure ?
Certainement pas : le non-attachement dont nous parlons n’est pas un détachement indifférent, il est même l’antipode de l’indifférence. L’indifférence est une attitude d’attachement à son confort personnel : on désire être tranquille, à l’abri dans son cocon, évitant soigneusement toutes formes d’irritation. L’indifférence, c’est : “Ça m’est égal”, “Je ne veux pas savoir”, “Laissez-moi tranquille”…
Le non-attachement consiste, lui, à ne pas être attaché à quoi que ce soit : ni aux objets extérieurs, ni à soi-même. Le non-attachement véritable est en fait la liberté intérieure. Libre d’attachement, on est sans lien, pleinement disponible aux situations qui se présentent. On est pleinement réceptif, et ainsi en parfaite adéquation à l’instant présent.
Vous comprendrez que cette adéquation à l’instant présent, développée par la pratique de la méditation, soit l’état dans lequel l’action et la vie quotidienne peuvent se dérouler d’une façon optimum.
Et par rapport aux autres, comment devrait-on se conduire et pratiquer ce non-attachement ?
Par la méditation, nous aidons aussi ceux avec qui nous vivons, car sa pratique développe une aptitude à la communication et à l’amour authentique. Nous parlons ici d’un sentiment désintéressé, qui nous fait aimer l’autre non pas pour ce que l’on voudrait qu’il soit mais pour ce qu’il est vraiment. Cet amour n’est pas un attachement aux êtres – de l’attachement découlant tous nos problèmes habituels – mais une attitude ouverte dans laquelle il est possible de communiquer véritablement et d’établir une relation authentique. L’amour véritable procède du non-attachement : il peut prendre place lorsqu’on n’essaie pas d’imposer quoi que ce soit aux autres, et que l’on n’a pas non plus quelque chose à défendre. Le problème de la relation aux autres se pose alors différemment : il y a abolition des barrières qui empêchent habituellement la rencontre. Cette absence d’attachement n’a rien à voir avec de l’insensibilité ou de l’égoïsme. Dépasser ses attachements n’est pas devenir insensible, mais apprendre à transformer la relation que l’on entretient avec ses émotions et leurs objets.
Ce n’est pas facile de commencer un cheminement, car il faut avoir le courage de revoir les valeurs sur lesquelles nous bâtissons en général notre vie !
Oui, c’est un engagement courageux qui demande une remise en question de nos valeurs et une révision des priorités que nous avions antérieurement ; mais c’est en même temps ce qui vaut le plus la peine d’être fait dans notre vie. La priorité de notre vie devrait être, avant tout, le cheminement spirituel, et c’est autour de lui, dans sa perspective, que les divers autres domaines de notre vie : professionnels, familiaux, sentimentaux…, devraient s’organiser et graviter. Il y a toujours dans l’existence un ordre de priorité à établir et il faut que celui-ci aille de l’essentiel au contingent. Le premier doit toujours gouverner le second et non le contraire.
Nous avons parlé de la souffrance, comment définiriez-vous le bonheur ?
Il y a différents types de bonheur comme il y a différents niveaux de souffrance. Le bonheur n’est pas quelque chose qu’il faille fabriquer par quelque moyen que ce soit. C’est l’état naturel de notre esprit libre de ses conditionnements, l’état de liberté au-delà des aliénations. Le véritable bonheur ne se possède pas, c’est l’absence même de possession et de possesseur, la liberté de l’éveil.
Comprendre ainsi où se situe le bonheur authentique permet de le rechercher intelligemment. En effet, le principal obstacle à l’obtention de conditions d’existence meilleures est une quête maladroite et agressive. Cette recherche est paradoxalement animée par des attachements à ce qui nous fait souffrir : en essayant de trouver ce que nous croyons être le bonheur, nous générons notre propre malheur ! En connaissant les véritables causes du malheur et du bonheur, nous pourrons travailler efficacement pour nous libérer des unes et cultiver les autres.
Tout ce qui nous arrive ne dépend pas toujours de nous. Nous faisons tous partie d’un contexte – professionnel, affectif ou familial – que nous ne pouvons pas toujours contrôler…
Oui mais, plutôt que d’essayer de contrôler les événements, il faut d’abord se changer soi-même dans les situations telles qu’elles se présentent. Il y a les situations et notre relation à celles-ci. Le bonheur ou le malheur viennent d’abord de la relation que nous entretenons avec ces situations.
Un cheminement véritable commence, comme nous en parlions, par une prise de conscience des problèmes. L’étape suivante consiste à se demander d’où viennent toutes ces difficultés. Le réflexe habituel est d’accuser les autres de tous nos malheurs. Si ça va mal, c’est à cause du système, des Russes, des Américains, des Japonais, du gouvernement, de notre patron, du voisin, de la concierge, de notre conjoint, des intempéries, etc. On blâme l’autre, c’est bien connu. Cette attitude laisse de côte l’élément fondamental de la situation relationnelle : nous-même avec notre confusion et nos passions. La racine des problèmes est en nous ! Notre bien-être, ou notre mal-être, ne dépendent pas tant des situations que de la façon dont nous les vivons et dont nous nous relions à celles-ci. Cette dimension relationnelle échappe habituellement à notre perception des choses. On ne peut la modifier que par un travail sur soi-même, sur sa façon de vivre, d’expérimenter chaque instant. Nous avons tous le pouvoir de nous transformer et de transformer, par là même, les événements extérieurs. C’est là que se trouve la clé du cheminement spirituel.
Il faut, avant tout, se rendre compte que la racine de tous nos problèmes est en nous, en nos attitudes passionnelles et égotiques, et qu’il est possible en travaillant sur celles-ci de nous en libérer.
Quelle est alors la bonne attitude pour commencer ?
En général, nous ne faisons que réagir aux choses sans vraiment les vivre. Il existe pourtant une possibilité d’utiliser tout ce qui nous arrive comme une occasion d’évoluer et de changer. A première vue, cela n’est pas évident et pour commencer il est nécessaire de s’être entendu dire, au moins une fois : “C’est possible”, par une personne digne de confiance. Nous avons en nous, dans notre vie, la possibilité d’effectuer cette transformation ! Nous avons en nous un potentiel sain et libre, une aptitude foncière à la liberté et au bonheur qu’il nous est possible de révéler, d’actualiser, pour autant que nous fassions ce qui est nécessaire. Il faut apprendre à le faire. C’est la pratique du dharma.
Vous avez parlé de conditionnements, d’où viennent-ils et comment agissent-ils dans les situations de notre vie ?
D’habitude, nous considérons ce qui nous arrive comme des situations extérieures à nous-même, alors que nous sommes un élément de celles-ci. En fait, c’est ce que nous vivons : toutes nos expériences sont des relations, des interactions entre nous et ce que nous posons comme extérieur, entre nous et notre environnement. Toutes dépendent d’un “moi” qui se vit lui-même comme quelqu’un d’autonome, d’intègre et d’indépendant.
Ce “moi” tente de posséder, d’écarter ou d’ignorer les êtres et les choses qui sont autres que “moi”. Notre conditionnement essentiel est cette situation dualiste de lutte du “moi-sujet” avec ses “autres-objets”. Dans cette interaction “sujet-objet” nous n’expérimentons pas les choses comme elles “sont” mais comme nous les voyons au travers du filtre déformant de notre moi et de ses réactions. C’est ce que l’on appelle : l’illusion.
En prenant conscience que nous sommes partie intégrante de nos expériences, et qu’elles sont fondamentalement conditionnées par nous-même, nous pouvons commencer à desserrer les nœuds de l’illusion.
Il existe quand même des événements qui ont une influence sur nous sans que nous puissions les contrôler : un accident de la route, une perte d’emploi, la disparition d’un être cher… On ne peut pas avoir d’action sur ceux-ci, pourtant on en subit le contrecoup…
C’est certain, ils nous viennent indépendamment de notre volonté, mais la façon dont nous les vivons dépend de nous. Le bonheur ne vient pas du contrôle des événements, mais plutôt de notre aptitude à avoir une relation juste à ceux-ci. On peut expérimenter une cascade d’événements pénibles et les vivre d’une façon libre, sans en être gravement affecté, en restant heureux. Le bonheur véritable dépend plus de notre état intérieur que du contexte extérieur.
Par exemple, des personnes, comme beaucoup de tibétains, qui sont dans une situation difficile et qui ont un mode de vie pauvre suivant nos critères, peuvent être tout à fait heureuses. A l’inverse, il arrive fréquemment que des gens extérieurement nantis et extrêmement privilégiés, soient, malgré cela, profondément misérables : anxieux ou déprimés.
Cela illustre que le bien-être dépend plus de ce que l’on est que de ce que l’on possède. “Ce que l’on est” signifie ici : notre attitude intérieure, notre état d’esprit, la façon dont nous vivons les situations, notre capacité à avoir une relation juste avec celles-ci.
Les causes véritables de notre mal-être ou de notre bien-être, la racine des problèmes et de leur solution se trouvent en nous, dans notre esprit.
Dialogue avec un lama occidental © éditions Dervy 1991