C’est parfois très ennuyeux de méditer
Jeremy Hayward
Voici un témoignage vivant, concret et plein d’humour sur l’intégration de la méditation dans la vie quotidienne. Loin d’être un exotisme, la méditation est la source d’une véritable éducation, pour peu qu’on en applique le rappel chaque jour, sur le coussin.
Chère Vanessa, ce matin je me suis levé à l’aube pour faire ma méditation silencieuse avant de prendre mon petit déjeuner, comme tous les jours depuis le début de cette retraite. Je m’assieds, jambes croisées, les mains posées sur les cuisses, le dos bien droit et la poitrine détendue. Je garde les yeux ouverts.
Je respire tranquillement et porte mon attention sur le contact de mon corps avec le coussin. Je sens mon cœur qui bat au centre de ma poitrine et le sang circule dans tout mon corps. Je goûte la solidité, la qualité terrienne de mon corps. Ensuite, la méditation consiste simplement à accueillir toute pensée, toute émotion qui survient et de la laisser partir où elle veut. Je m’efforce d’être direct et honnête avec moi-même, de ne pas fuir les pensées qui me dérangent, de ne pas retenir les émotions qui me font plaisir. Je les laisse venir, mais sans les encourager inutilement, je les laisse partir sans intervenir.
Quand mon attention s’égare, quand je me surprends à réfléchir, je ramène doucement mon attention vers ma respiration. Je reste attentif à l’expiration, et je sens l’air sortir de mon corps. Je m’ancre alors dans le présent. Le ballet des idées et des émotions peut maintenant reprendre.
C’est parfois très ennuyeux de méditer – j’ai l’impression de ressasser toujours les mêmes idées inutilement. D’autres fois, c’est douloureux parce que certaines idées ou émotions enfouies dans ma mémoire remontent à la surface. Ou, encore, je suis complètement excité par une idée formidable qui me vient à l’esprit. J’ai le cerveau en ébullition et je ne pense qu’à me lever pour prendre des notes. Mais certaines fois c’est extrêmement joyeux. Je me sens totalement présent dans mon corps et cela m’éclaircit l’esprit.
La plupart du temps, j’ai l’impression que mon corps, mon esprit et mes émotions courent dans des directions différentes – mon esprit est préoccupé par la journée à venir, mon corps dort encore et mes émotions tendent vers quelque chose qui me manque (une bonne douche, par exemple). Mais, dans ces moments, tout se met en place et fonctionne ensemble. Alors je me sens entier, complet. Je me dis que c’est sans doute cela, être un homme : un corps, un esprit et des émotions bien accordés qui jouent harmonieusement comme les cordes d’une guitare.
Mais peu importe si je m’ennuie, m’impatiente ou suis joyeux, l’essentiel est que je médite quotidiennement. J’estime indispensable de m’autoriser cette pause, cette plongée en moi-même qui me permet de me connaître intimement.
Imagine un naturaliste qui passerait des jours et des jours à observer un groupe de marmottes dans un coin de montagne. A force de les voir courir, jouer, entrer et sortir de leurs terriers, il les connaîtrait si bien qu’il n’aurait plus l’impression d’être un observateur extérieur. Il finirait par trouver un sens à tous leurs déplacements et à éprouver des sentiments particuliers pour chaque membre du groupe.
La méditation permet de s’identifier avec ses processus mentaux au point de ne plus se sentir séparé, observateur de son propre esprit. On perçoit alors directement la nature de ses pensées, de ses émotions et de tout le processus de la perception. Evidemment, c’est plus facile à dire qu’à faire ! Nous sommes habitués à notre mode de perception illusoire et nous préférons ignorer notre identité. Mais nous pouvons y parvenir si nous le souhaitons vraiment.
Dans la pratique de l’attention vigilante, il y a deux composantes qui correspondent à deux modes de fonctionnement de notre esprit : se concentrer sur une activité ou une idée et avoir une conscience large du moment présent. L’aspect “attention” consiste à s’identifier avec les pensées, émotions et sensations physiques du moment, de manière à se fondre si intimement avec elles qu’il n’y a plus de séparation entre observateur et chose observée. Il ne s’agit pas d’être témoin de ce que nous faisons mais simplement d’être ce que nous faisons, pensons et ressentons, jusque dans les moindres détails.
L’attention peut se poursuivre quand la méditation est terminée, et si nous restons entièrement présent à ce que nous faisons ; planter une fleur, essuyer un verre, laver sa voiture, programmer un ordinateur, n’importe quoi – être vigilant à chaque détail.
La vigilance dépend de l’attention. Quand tu es présente, une ouverture, une perspective plus vaste de ta vie peut t’apparaître. Tu te sens curieuse de ce qui se passe autour de toi, tu as l’esprit léger, alerte. Cette vigilance te permet de voir que tes pensées, tes émotions et tes perceptions ne sont pas des “choses” épaisses mais simplement des ondes d’énergie.
Cette conscience nouvelle peut ressembler à une brèche dans notre activité mentale, notre bavardage intérieur – un éclair de fraîcheur. On ne connaît pas son origine, on ne peut pas la retenir ni la recréer artificiellement. Elle se manifeste par la vision nouvelle d’une fleur ou d’un visage, par un trait d’humour au milieu d’une colère.
“Attention” et “vigilance” sont des attitudes simples que nous adoptons naturellement, à chaque instant de notre vie et à des degrés divers. Mais elles sont généralement trop éparses, trop peu conscientes pour pouvoir servir d’outils de connaissance. Chacun les utilise instinctivement.
L’attention, par exemple. A l’école, quand un cours t’ennuie, tu essaies d’être attentive, mais ton esprit s’évade régulièrement. Même quand on a envie d’apprendre quelque chose, il est souvent difficile de rester concentré.
Quant à la vigilance, c’est elle qui te permet d’être, même inconsciemment, consciente de tout ce que tu vois, entends, sens, etc., à un moment donné. Prends, par exemple, un musicien d’orchestre. Il doit simultanément suivre sa propre partition et rester vigilant face aux autres musiciens et au chef d’orchestre. Ou bien, quand tu fais la cuisine – pas des macaronis au fromage, comme d’habitude -, disons que tu prépares un repas de Noël. Pendant que tu coupes des carottes avec un couteau bien aiguisé, tu dois faire attention à ne pas te couper les doigts, mais, en même temps, tu sais que ta sauce commence à frémir, qu’il va falloir déboucher les bouteilles de vin et mettre le gâteau au four. Tu es donc concentrée sur ce que tu fais tout en restant vigilante par rapport à l’ensemble de ton dîner.
Vois-tu, Vanessa, la méditation est souvent considérée – par les gens qui ne l’ont jamais pratiquée – comme une fantaisie exotique, une technique new age ou une vaine contemplation de son nombril. Mais ce mépris n’exprime finalement que la peur de découvrir qui nous sommes réellement.
Quoi qu’il en soit, la méditation n’a rien d’exotique. William James, grand psychologue américain du début du siècle, a écrit : “La capacité de rassembler inlassablement et volontairement son attention chaque fois qu’elle se disperse est à la racine même du jugement, du caractère et de la volonté. Une éducation qui développerait cette capacité serait l’éducation par excellence. Mais il est plus facile de définir cet idéal que de donner des instructions pratiques sur la façon de l’atteindre.”
Vois-tu, Vanessa, les instructions que je viens de te donner sont pratiques et efficaces. On peut seulement déplorer que la conception actuelle de l’esprit nous ait fait oublier qu’on peut l’entraîner volontairement. Est-ce qu’on t’en a parlé à l’école ? Certainement pas ! Je trouve ça pathétique.
Car une pratique comme celle de la méditation silencieuse, attentive, vigilante, est essentielle si nous voulons connaître ce qui se passe en nous, savoir qui nous sommes. C’est une technique indispensable pour dépasser le conditionnement qui nous empêche de vivre notre monde quotidien comme il est, magique et sacré.
Lettres à une jeune fille sur l’enchantement du monde © Ed. Robert Laffont