L’expérience profonde de Shamatha et de Vipashyana : la méthode de méditation

Compilé par Déshoung Rinpoché

Ce texte fut traduit du tibétain par le Comité Lotsawa en 1994. Tout ce qui est écrit entre parenthèses au fil du texte a été ajouté pour faciliter l’intelligibilité du texte français. Les notes sont aussi le fait des traducteurs. Nous avons rajouté, principalement pour la section de Vipashyana, de nombreuses notes qui présentent les termes tibétains pour les étudiants de la langue.

La traduction a été relue, revue et corrigée à partir de l’original tibétain par Lama Denys en juillet 2000.

Cette version contient encore des imperfections, veuillez nous en excuser et n’hésitez pas à signaler celles que vous pourriez trouver.

Puisse ce précieux texte être utile aux valeureux yogis sur la voie de l’Éveil

– Que tout soit propice –

I – SHAMATHA

A -circonstances favorables, défauts et remèdes à la pratique

– L’isolement du corps et de l’esprit

Shamatha n’apparaît pas d’emblée chez les débutants car ils sont distraits. Pour le développer, ils ont besoin de l’isolement du corps et de l’esprit. C’est ce qu’ils feront en utilisant les six facteurs favorables au repos tranquille (Shamatha). Il s’agit :

1– De demeurer dans un lieu propice (c’est-à-dire principalement calme)

2– D’avoir peu de désirs

3– De savoir se contenter de ce que l’on a

4– D’abandonner les distractions des activités nombreuses

5– D’avoir une discipline juste (en corps, parole, et esprit)

6– D’abandonner les cogitations qui entretiennent le désir et autres passions.

– Les cinq obstacles et les huit remèdes

Une fois dans cet état d’isolement, pour pratiquer l’état d’absorption méditatif, le samadhi (de Shamatha), il faut :

1) Identifier les cinq défauts à abandonner, puis

2) Appliquer les huit facteurs remèdes qui permettent de les abandonner.

Nous cherchons alors l’état de repos tranquille (Shamatha) au moyen des six “forces” de la pratique et traversons neuf étapes de repos passager de l’esprit qui correspondent à quatre types de positionnement du mental dans la méditation. Dans notre entraînement en cette pratique naissent progressivement cinq degrés d’expérience méditative et nous réalisons finalement l’état de tranquillité de l’esprit extrêmement pur.

B – Les cinq obstacles de Shamatha

1 – La paresse

C’est l’attitude en laquelle l’esprit n’entre pas en contact avec les vertus de la pratique.

2 – L’oubli

Même si l’esprit entre en contact avec la pratique, il oublie les instructions de méditation.

3 – La torpeur et l’agitation

Même si l’esprit n’oublie pas les instructions, il ne reste pas en place : c’est l’agitation ; ou bien il est opaque et engourdi : c’est la torpeur.

4 – Le manque d’intervention

Quand l’esprit est parti dans la torpeur ou l’agitation, c’est de ne pas appliquer le remède qui permettrait de les éliminer.

5 – L’excès d’intervention

C’est appliquer de trop nombreux remèdes. Cette intervention excessive empêche l’esprit de rester en place.

C – Les huit remèdes aux cinq obstacles

Les huit remèdes permettant d’abandonner les cinq fautes sont les suivants :

1 – Les remèdes à la paresse (intention, effort, confiance, ravissement)

Il y a quatre remèdes à la paresse qui est la première chose à abandonner ; ce sont :

– L’intention qui fait tendre vers la méditation

– L’effort qui fait être énergique en celle-ci

– La confiance qui fait entrevoir ses qualités

Les états méditatifs extrêmement purs ou de ravissement (Chine djang*) qui sont le résultat des efforts.

L’intention fait tendre vers l’état de méditation ; l’effort consiste à rester en celui-ci ; la confiance est à l’origine de l’inspiration ; quant aux états méditatifs d’extrême pureté, ils sont le fruit des efforts.

Parmi ces remèdes à la paresse, le principal est l’effort ; en fait, il s’agit d’être courageux. La paresse est le premier obstacle à la méditation, il s’agit de l’abandonner et de développer de l’énergie en gardant présents à l’esprit :

– Le caractère insatisfaisant de l’existence conditionnée

– La difficulté d’obtenir l’existence humaine libre et qualifiée (c’est-à-dire dotée des libertés et des qualifications qui la rendent propre à la pratique du dharma)

– L’impermanence et la mort.

2 – Les remèdes à l’oubli (souvenir-rappel)

Lorsque nous sommes diligents en la méditation, oublier ses instructions est un défaut dont le remède est le “souvenir-rappel” (tibétain : drènpa*, écrit : dran pa). Celui-ci ne consiste pas seulement à ne pas oublier la méditation mais aussi à ce que l’esprit y reste complètement absorbé dans l’expérience précise et soutenue d’une intelligence bien présente.

3 – Les remèdes à la torpeur et à l’agitation (vigilance attentive)`

Pendant l’absorption méditative, la torpeur et l’agitation sont des défauts. Leur remède est la vigilance attentive (tibétain : ché chine* ; écrit : shes bzhin). Cette vigilance attentive examine bien si l’esprit s’engourdit, s’il s’agite ou si ce n’est pas le cas. Ceux qui ont pour la méditation d’excellentes facultés reconnaîtront la torpeur et l’agitation dès qu’elles commencent à apparaître et ils pourront les éliminer aussitôt. Ceux qui ont des facultés moyennes pourront les reconnaître et les abandonner tout de suite après leur apparition. Quant à ceux qui ont des facultés moindres, ils les reconnaîtront peu de temps après leur apparition et devront alors les éliminer.

a – Les deux qualités de Shamatha (lucidité et repos)

(D’une façon générale), la pratique de Shamatha a deux qualités :

– La lucidité (ou clarté) : une présence lucide

– Le repos : un état de repos en lequel l’esprit reste complètement absorbé en la méditation.

La première qualité est interrompue par la torpeur, la seconde l’est par l’agitation.

Les principaux obstacles à la réalisation d’une méditation parfaite ont leurs origines dans l’apparition de la torpeur et de l’agitation. (Il s’agit donc de) reconnaître leurs formes grossières et subtiles puis de les éliminer. Il est enseigné en effet que sans y mettre fin, il n’est pas possible de développer Shamatha, et a fortiori –cela va sans dire– Vipashyana !

(Dans cette perspective), la pratique nécessite deux éléments :

– Un moyen pour que l’esprit ne se distraie pas de sa méditation (dmigs pa)

– Et une intelligence qui reconnaisse “comment” est l’esprit : distrait ou non.

Le moyen est la présence du rappel-souvenir (dran pa). L’intelligence est l’attention-vigilance (shes bzhin).

Si la présence du rappel-souvenir (dran pa) se détériore, nous oublions la méditation, et aussitôt que nous en sommes ainsi distraits, elle est détruite. De ce fait, la présence de ce rappel-souvenir (dran pa) qui permet de ne pas quitter la méditation est la racine (de sa pratique). Il est enseigné de placer l’esprit dans la méditation (dmigs pa) et d’y rester présent en s’en souvenant (dran pa) continûment, sans la moindre distraction ; quand nous en sommes distrait, cette simple distraction détruit la présence (dran pa) [à la méditation].

b – Opacité, torpeur et agitation

Voyons maintenant quelles sont les différences entre opacité–torpeur et agitation.

1) L’opacité et la torpeur

* Définitions

L’opacité ou l’engourdissement est cet état en lequel le support de méditation n’est pas clair et en lequel le corps et l’esprit sont dans un état de lourdeur et de somnolence.

– La torpeur grossière est comme l’obscurité s’abattant sur l’esprit. [Dans cet état], même si l’esprit ne s’égare pas hors de son support de méditation, il n’est ni clair ni lucide et la force de la présence (dran pa) s’est affaiblie.

– La torpeur subtile est cet état en lequel, même si l’esprit reste clair et lucide, la précision de son expérience soutenue et alerte, fixée sur le support de méditation, s’est un peu relâchée.

* Remèdes

– Considérer les qualités des Trois Joyaux (cette considération est stimulante pour la confiance, la joie, l’enthousiasme… et l’esprit d’une façon générale) ;

– Produire dans l’esprit des caractéristiques lumineuses (par exemple, imaginer que notre esprit baigne dans une immense clarté extrêmement vive) ;

– Et les instructions concernant le mélange du souffle-esprit et de l’espace, (par exemple, imaginer que l’esprit fait corps avec le souffle qui se fond lui-même en un espace ouvert à l’infini).

2) L’agitation

* Définitions

L’agitation subtile [est l’état en lequel] l’esprit ne reste pas immobile sur le support de méditation et se disperse un peu. Le remède est de méditer en utilisant la présence du rappel-souvenir (dran pa) et l’attention vigilante (shes bzhin).

L’agitation grossière (est l’état en lequel), même si nous utilisons le rappel (dran pa) et l’attention vigilante (shes bzhin), l’esprit ne reste pas en place et se disperse vers des objets d’attachement.

* Remèdes

– Méditer sur l’impermanence, sur les trois existences inférieures, et sur les maux du samsara (ce qui favorise le non-attachement aux objets sources d’agitation) ;

– Appliquer les instructions qui coupent court à l’agitation avec des moyens puissants, (par exemple de méditer sur un globule sombre, terne et très pesant qui, à partir de notre cœur, descend lentement par-delà nos limites corporelles. L’esprit fait alors corps avec le globule et le suit en descendant doucement et progressivement).

4 – Les remèdes à l’absence d’intervention (intervenir)

Lorsque torpeur ou agitation apparaissent, ne pas réagir est un défaut. Le remède est de les reconnaître dès leur apparition et d’utiliser les facteurs qui les éliminent (les remèdes mentionnés précédemment). Si l’esprit est alors dans une présence très tendue sur le support, il sera lucide mais très agité et il lui sera difficile de rester tranquille ; et [vice-versa] si sa tension n’est pas assez soutenue et s’il se détend trop, bien qu’il trouve le repos, la torpeur sera grande et il lui sera difficile d’obtenir la lucidité.

Pour ces raisons, évaluant notre expérience : si nous constatons que de l’agitation se développe quand nous augmentons, dans une certaine mesure, l’intensité de l’intelligence (rig pa), nous nous détendrons un peu. Par contre, si nous constatons que laissant l’esprit à lui-même il glisse dans la torpeur, nous augmenterons un peu [l’intensité de l’intelligence]. Puis ayant trouvé la juste mesure entre ces deux tendances, nous chercherons l’état de repos de l’esprit, laissant celui-ci en équilibre à l’écart de toute perturbation. Quand cet état de repos est apparu, si nous craignons par moments de sombrer dans la torpeur, nous stimulons à nouveau la lucidité d’une intelligence bien présente. Nous cultivons (bskyangs) aussi la pratique en alternant ces deux phases jusqu’à ce que le samadhi (expérience profonde) sans défaut se développe. Celui-ci ne consiste pas seulement en une transparence, car s’il manque à celle-ci la lucidité d’une conscience précise, cet état, à lui seul, ne conduira pas à la stabilité du mental.

5 – Les remèdes à un excès d’intervention (cesser d’intervenir)

Quand [comme il vient d’être expliqué] même les formes subtiles de torpeur et d’agitation ont cessé, intervenir alors que l’esprit est entré dans une certaine continuité de méditation est un défaut. Le remède est alors de ne plus agir avec les antidotes à la torpeur et à l’agitation et de laisser l’esprit détendu en l’état d’équanimité.

II – VIPASHYANA

(D’une façon générale) Vipashyana est l’essence de la compréhension (prajña).

On distingue :

– Vipashyana spécial, qui est la pratique développant la réalisation de l’intelligence immédiate de Mahamudra, le sens ultime. Il ne sera pas développé ici.

– Et Vipashyana selon les points essentiels de la voie commune aux sutras et tantras. C’est le sens de cette pratique que nous allons exposer brièvement.

Elle comprend :

– La méditation du non-soi de la personne (ou d’absence d’individualité dans la personne) ;

– La méditation du non-soi des phénomènes (ou d’absence d’entité dans les phénomènes) ;

– La méditation de la vacuité ayant pour cœur la compassion ;

– Et la méditation de Shamatha et Vipashyana conjoints.

A –Définition

Il s’agit d’abord de distinguer le “non-soi de la personne” et le “non-soi des phénomènes”, puis de comprendre leur inexistence.

1 – “Personne”

La “personne” est l’intelligence qui appréhende la continuité des constituants [qui nous composent].

Lorsque (cette intelligence) se saisit comme indépendante, permanente et monolithique et ainsi se fixe à un “moi-je” ou “soi”, c’est le “soi de la personne” [ou encore “l’individualité de la personne”].

Comprendre que ce soi de la personne (ou individualité de la personne) n’est pas quelque chose en-soi, est la compréhension du “non-soi de la personne” [ou de l’absence d’individualité dans la personne].

2 – “Phénomène”

Les “phénomènes” sont les différentes choses : constituants, éléments etc., que le soi de la personne {ou l’individualité de la personne} conçoit.

Saisir ces phénomènes et s’y attacher comme à des choses réelles ayant leurs caractéristiques en elles-mêmes est le “soi des phénomènes”.

B – La méthode de pratique

Dans un lieu isolé, nous entrons en le Refuge du Lama et des Trois Joyaux avec une prière fervente. Puis, motivé par la Grande Compassion, nous méditons longuement l’éveil du cœur-esprit (bodhicitta). Nous pratiquons ensuite un exercice de Shamatha et lorsque le repos de l’esprit s’est quelque peu développé, nous considérons :

“Alala ! Notre esprit est en soi l’état naturel, il est par nature Claire Lumière, depuis toujours libre de toutes déterminations. C’est la clarté vide, subsistante, sans direction, ni orientation. Mais ne la réalisant pas, s’y saisit un “moi-je” qui fait errer sans fin dans le samsara. Ce samsara, qui apparaît de l’accoutumance aux propensions illusoires de la saisie dualiste, est apparences de choses qui ne sont pas, comme un déguisement, une enveloppe illusoire. En les saisissant comme réalités, l’on s’adonne comme un fou à des illusions, et dans celles-ci on éprouve continuellement l’expérience pénible de nombreuses souffrances.

Maintenant, à partir des instructions du Lama sacré, je vais pénétrer le suprême secret de l’esprit, le profond cœur de tous les enseignements, signifié par les 84000 collections du dharma des tathagata des trois temps, et je ne serai plus possédé par le démon de la saisie des choses”.

1 – Méditation du non-soi de la personne

Nous tendons le corps et l’esprit dans la concentration de l’expérience agréable d’exister comme être autonome, et nous en regardons les constituants. Nous considérons que “saisir un moi ou un mien est une illusion”, car si ce que nous nommons moi ou soi existait, il serait soit dans le nom, soit dans le corps ou soit encore dans l’esprit. [Or :]

– Le nom n’étant qu’une désignation adventice, il n’est pas le soi.

– Le corps n’étant qu’une simple conception qui recouvre l’agrégation de nombreux constituants comme la chair, le sang etc., il n’est pas non plus le soi. Du sommet de la tête à la plante des pieds, à l’intérieur, à l’extérieur, où que ce soit, il n’est de soi.

– Quant à l’esprit ? : l’esprit du passé a [déjà] cessé ; l’esprit à venir n’est pas [encore] né, et l’esprit du présent cesse immédiatement, aussi [l’esprit] ne peut-il non plus être le soi.

Ce que l’on nomme “soi” se réduit alors à n’être qu’une illusion sans fondement. Le mental considère [ces points] encore et encore.

2 – Méditation du non-soi des phénomènes

Toutes les apparences du monde extérieur, dans leur variété : montagnes, maisons etc., ne sont pas le produit du hasard, du Tout-puissant, des quatre éléments, d’atomes ou d’un créateur autre [mais sont produites par] notre propre esprit globalement altéré par les propensions du samsara. (Toutes ces apparences) sont comme inexistantes ; elles se réduisent uniquement à des apparences émergeant par le pouvoir de l’illusion. Elles sont –pour prendre un exemple– analogues à une ville onirique ou aux chevaux, vaches ou autres formes du rêve.

– Nous considérons cela longuement pour en développer une ferme conviction –

Ainsi, si les apparences saisies comme objets sont analogues aux apparences oniriques, le connaisseur qui les saisit est aussi semblable à l’esprit (sujet) de l’expérience onirique : il n’a pas non plus d’existence réelle, quelle qu’elle soit.

C’est pourquoi tous les phénomènes inclus dans la saisie dualiste sujet-objet ne sont qu’illusions, mensonges et sujets de tromperie.

Nous considérons ceci. Puis l’esprit se retourne sur lui-même en l’intelligence du présent instantané, libre du voile de la saisie dualiste sujet-objet, et longuement il contemple nûment son propre éclat.

Dans l’expérience de la clarté-lucidité d’ouverture totale, béante :

Contemplons d’où naît cette lucidité intelligente. On ne lui trouve d’abord de cause (ou de lieu d’origine) d’où elle vienne : elle est non née, c’est une vacuité ouverte et dégagée.

Ensuite, contemplons où réside son essence. Elle ne se trouve nulle part : ni à l’intérieur du corps, ni à l’extérieur, ni entre les deux. Elle ne consiste en aucune couleur, forme ou quoi que ce soit. Quelle que soit la façon dont nous la recherchions, elle ne peut être trouvée. C’est une vive transparence sans localisation.

Finalement, si nous contemplons où elle finit, elle ne se termine et ne s’achève en aucune conséquence ; et, dans cette non-finitude, est un bonheur étale.

Ainsi, la vacuité naturelle, dépourvue de cause, de conséquence et d’essence (ou d’être) resplendit dans une nudité claire et brillante. Sans aucunement entraver le dynamisme propre à la clarté qui en fait l’expérience, l’intelligence de cette expérience est une lucidité vive et ouverte : dans sa clarté, elle ne consiste en rien (elle est vacuité), et dans sa vacuité, elle est intelligence, lucide et libre de tout blocage. C’est la clarté vide, l’absence de saisie, l’au-delà des déterminations et des orientations.

“Demeure en cette ouverture, béante, nue et dégagée, indicible et impensable ; et finalement, sans même saisir l’indicible !”

Quand apparaît une pensée, ne suis pas son cours, reste dessaisi :

“aussitôt apparue, elle a complètement disparu”.

Au début, sois concentré avec fermeté ; au milieu, sois relâché (ou relaxé) dans la détente ; et à la fin, sois sans espoir ni crainte.

En résumé : sans jamais être distrait de l’ainsité de la simple présence qu’est la clarté-lucidité vide sans fixation, sois sans contrainte en l’état où il n’est rien qui soit médité. Médite ainsi, intensément, de courts moments répétés encore et encore ; puis, sans que la méditation ne devienne rebutante, arrête-la sur une bonne impression.

3 – Méditation de la vacuité et de la compassion conjointes

A la fin d’une session, avant de quitter la pratique, [considère] la nature de tout phénomène : l’au-delà des déterminations, sans repère, indicible, transcendant l’intellect, sans fondement ni origine, semblable à l’espace. Ne la reconnaissant pas, tous les vivants –nos mères d’antan – liés par l’intense saisie du moi et la fixation sujet-objet, ne vivent que dans les apparences illusoires. Dans une compassion empathique, souhaitons qu’ils réalisent la nature de l’esprit, l’intelligence suprême du parfait état de Bouddha qui rend manifeste ce grand au-delà des déterminations.

Entre les tün [sessions de méditation] :

Les illusionnistes produisent des formes :
Chevaux, vaches, chars et autres ;
Mais quoi qu’il apparaisse, il n’en n’est rien.
Connais tout phénomène comme leur semblable”…

Les profondes paroles des sutras du sens définitif sont une très grande inspiration qui plante l’habitude de la vision philosophique, aussi en réciterons-nous, en l’état qui comprend toute apparence comme apparence-vide, semblable à une illusion ; et après, nous accomplirons diligemment le bien des vivants.

4 – La méditation de Shamatha-Vipashyana conjoints

La période de Shamatha est l’apaisement de toutes les irruptions de la pensée discursive ; c’est le mental qui ne fait rien. La période de Vipashyana est l’élimination de toutes surimposition ; c’est le mental en lequel il n’est rien à faire. En le yoga de l’absence de toute méditation, les deux [Shamatha et Vipashyana] fusionnent en une unique saveur et sont pratiqués conjointement.

L’Ornement des sutras dit :

“Cette voie de la conjonction
Est celle de l’unification”.

La façon de la pratiquer est sommairement semblable à ce qui précède. Sans quitter l’intelligence supérieure qui comprend que sont dépourvus de nature propre le yoga médité, le moyen de méditation et la personne qui médite, et (aussi) sans bloquer la lucidité de la simple présence, est Shamatha la stabilité de l’absorption unifiée en l’expérience apparente, alors que la compréhension immédiate du caractère non né de ce simple apparent est Vipashyana. Les deux étant en essence indissociables, reste [en leur état] clair-lucide et complètement ouvert. Lorsque le repos est grand, stimule l’intelligence qui comprend en soi, et lorsque l’intelligence est intense et que l’esprit ne repose pas, reste relâché.

En alternant ainsi, les deux se rejoignant, toutes les déviations sont éliminées. Si ces points essentiels ne sont pas compris, il y aura déviation, car quelle que soit la stabilité de Shamatha, [Shamatha seul dévie] dans l’un ou l’autre des quatre niveaux de méditation [du monde de la forme subtile] ; et aussi excellent que soit le discernement de Vipashyana, [Vipashyana seul dévie] dans l’un des quatre domaines du sans forme [du monde de l’absence de forme].

– Aussi est-il essentiel de pratiquer en éliminant toutes les déviations –

Entre les tün :

Sans s’investir, au gré des projections, en les objets des facultés cognitives, l’intelligence ne quitte pas le domaine de la totalité des apparences, les reconnaissant comme ses simples émergences. Et dans cet état, nous accomplissons le bien des vivants autant que nous le pouvons.

Finalement, nous appliquant à la vertu ou en quelque activité que ce soit, nous cultivons encore et encore l’intelligence que toute apparence est comme un rêve ou une illusion. Ceci est important car il est enseigné que cette pratique fait naître en soi l’habitude de la vision juste.

Le Flambeau de la Voie de la Libération. Traduction du Comité Lotsawa

* Chine-djang : Cet état méditatif extrêmement pur (écrit : shin sbyang) est une expérience physique et spirituelle intense. Le corps et l’esprit y sont libres des impuretés qui les souillaient au préalable. Cette expérience est source d’une profonde inspiration pour la pratique. Le terme chine-djang signifie littéralement “extrême entraînement” ou “extrême purification”, l’expérience évoquée dans le texte ainsi qu’une extrême souplesse et maniabilité de l’esprit lui correspondent. Cette expression est susceptible d’être traduite différemment suivant les cas. Le contexte pratique et expérimental nous a fait choisir ici “extrême pureté” qui rend le mieux.

* Drènpa : Littéralement “garder présent à l’esprit” et “se rappeler”, “se souvenir de”. Drènpa permet de garder la méditation présente à l’esprit. C’est la présence de l’esprit à la méditation et le souvenir de celle-ci. Nous traduisons drènpa par l’une ou l’autre de ces expressions en gardant le plus souvent possible le terme tibétain entre parenthèses. Drènpa comme souvenir assure la continuité de la méditation.

      • Ché chine : Littéralement “être connaissant”. Ché : connaître, et chine est une particule caractéristique du présent. Chéchine est la connaissance du présent, une qualité d’attention vigilante à l’instant présent, attention vigilante au sujet de méditation et à l’état présent de l’esprit en celle-ci. Elle permet de reconnaître si l’esprit est, dans l’instant présent, distrait ou non ; le souvenir-rappel permet de maintenir ou de rétablir le contact avec la méditation.

 

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