La présentation à la nature de l’esprit
Longchenpa
Longchenpa, le maître incomparable de l’école Nyingma, introduit ici la pratique principale des enseignements Dzogchèn appelée la présentation à la nature de l’esprit.
Cette nature est rigpa, état de clarté sans saisie qu’il s’agit de préserver à tout moment du jour et de la nuit.
Tous les phénomènes du monde apparent, du samsâra et du nirvâna sont le prodige magique de rigpa, semblables à un rêve de la nuit passée.
L’état naturel de rigpa, d’essence vide, est Corps absolu.
Sa nature lumineuse est Corps de jouissance et son mode d’émergence, qui apparaît sous des formes variées au gré des circonstances, est Corps d’apparition.
Ainsi, cette émergence même, en tant que processus ordinaire de la conscience au présent, est l’intention des bouddhas, I’immensité spatiale libre de toutes
limites.
Le maître dit alors :
La Sagesse de rigpa, vide et lumineuse, à pour mode d’émergence des manifestations de toutes sortes au gré des circonstances ;
Son mode d’être n’étant aucunement réel,
Elle s’élève d’elle-même et se libére sur place :
Comme l’eau et les vagues dans l’oécan.
Les pensées discursives sont depuis toujours l’éclat lumineux du Corps absolu.
Il n’y a rien à méditer en dehors de l’espace absolu.
Certains veulent rejeter les pensées pour méditer sans discursivité
Mais libérer les apparences comme des ennemis est choir dans l’illusion !
Quoiqu’il s’élève, soyez sans adoption ni rejet,
L’étendue de l’existence phénoménale est le terrain du véhicule de Samantabhadra,
Au-delà de toute considération de méditation et de non-méditation.
Un tel chemin suprême est particulièrement éminent !
Demeurez à l’équilibre dans la conscience au présent,
en considérant fixement la fraîcheur de tout ce qui s’élève, sans fabriquer d’artifices correcteurs et corrupteurs.
Laissez-vous aller tout à l’aise dans la détente en vous relâchant; reconnaissant l’émergence, demeurez fraîchement dans la clarté.
Vous abandonnant au cours naturel sans vous en saisir, laissez-vous aller spontanément sans attachement.
Reconnaissant toutes les pensées discursives naissantes, la vue les libère sur place. La méditation consiste, dans cet état, à demeurer lucidement dans la félicité, la clarté et l’absence de discursivité.
A ce moment-là, ce qui émerge sans qu’il y ait d’attachement à l’extérieur ni à l’intérieur est l’action.
Quant à la libération selon le mode spontané et sans buts, c’est le fruit.
Dans la réalité absolue incréée
Émerge le rigpa du grand cours naturel.
La liberté naturelle est un état de clarté sans saisie,
La base libératrice de Samantabhadra.
Dans la nature de l’esprit, libre depuis toujours
Il est inutile de “libérer” depuis le début.
Laissez-vous donc aller dans la fraîcheur spontanée de la conscience ordinaire…
Rigpa, vide et lumineux, qui libère spontanément,
Est la grande félicité du Triple Corps, le champ pur des bouddhas;
La base de toutes choses est l’état du Corps absolu
Où les antidotes correcteurs ne sont ni bons ni mauvais.
Dans le miroir de l’esprit (où se reflètent bonheur et souffrance).
Le yogi s’exercera au dynamisme de Rigpa.
Telle est la cîme de tous les véhicules.
La voie suprême de l’essence adamantine
dit le maître, pour préciser.
En extirpant de la sorte toute discursivité au moment même de son jaillissement, vous demeurez dans l’unité. Ainsi l’essence de rigpa, la Sagesse sans élaboration , vide et lumineuse, surgit des profondeurs et vous libère du désir.
Pour ce qui est des pensées discursives qui suivent, elle vous libère de la
conscience de la forme et du sans-forme ; limpidité et émergence-libération sont spontanément présentes dans le grand yoga du fleuve ininterrompu.
Comment préserver (cet état) après les séances de pratique
Tôt le matin, vous unirez la quiétude et la vision profonde dans un état limpide comme le ciel, la sagesse sans discursivité aucune.
Vous assumerez les points clef du corps, et, sans bouger les yeux, vous pratiquerez.
Puisqu’ainsi s’élèveront spontanément les recueillements de félicité, de clarté et de non-discursivité vous accomplirez l’oeil divin et les connaissances supranormales.
Dans la matinée, sans distinguer les projections de l’état de repos, vous exercerez le dynamisme de rigpa à l’autolibération instantanée, et votre réalisation de la vision profonde auto-libératrice ira croissant.
Le midi, vous entraînant sans opinions à la perception pure de tous les phénomènes et à la dévotion, vous méditez inlassablement sur le maître, avec un
respect et une dévotion extraordinaires.
Dans un état d’irréalité, vous obtiendrez alors promptement les accomplissements suprêmes et ordinaires.
L’après-midi, vous songerez aux maux du samsara, aux bienfaits de la libération, vous vous convaincrez des résultats du karma, de la difficulté à obtenir une vie précieuse et pleine de dons, de l’impermanence de la vie, et vous apprendrez ainsi à abréger les projets de votre esprit.
Votre esprit n’embrassera plus les apparences de cette vie, et pour la suivante, vous accumulerez quantité de mérites en vous appliquant avec discipline à accomplir le Dharma.
Le soir, vous accéderez à l’égalité dans la félicité, la clarté et l’absence totale de discursivité, en l’état où ayant tranché les perceptions dans l’esprit, la variété vous est semblable aux rêves. Les obstacles s’apaisant sur-le-champ, vous réaliserez ainsi l’essence qui détruit l’illusion attachée à la réalité substantielle.
A minuit, au moment de vous endormir dans l’état non-né de la nature de votre esprit, vous entrerez dans le sommeil sans émettre ni réabsorber de pensées discursives, et vos rêves se lèveront comme la grande félicité lumineuse. Vous accomplirez ainsi l’esprit de sagesse où jour et nuit sont indissociables.
Quand vous demeurerez jour et nuit ainsi avec diligence (il se peut que) vous stagniez, que vous vous égariez ou que vous vous dispersiez.
Bien que vous ayez beaucoup médité, il y a stagnation si aucun progrès ne survient. Quand l’émergence-libération stagne, le pouvoir de la vision est faible et vous êtes comme un étendard qui flotte au vent, incapable de rentrer dans
l’immobilité ne serait-ce qu’un instant.
Entraînez vous donc à l’autolibération des projections, et la sagesse de la vision profonde émergera soudain dans votre esprit.
Quand stagne la quiétude et la vision profonde, limpide et sans discursivité aucune, votre développement reste faible .
Alors quand le ciel est sans nuage, tournez le dos au soleil et fixer intensément votre regard dans le ciel. L’esprit demeurant sans projeter de pensées, la sagesse sans élaboration, vide et lumineuse, émergera des profondeurs.
Par ailleurs, quand stagne la quiétude, méditez au moyen de la vision profonde pour détruire (cet état).
Extrait de « La Liberté Naturelle de l’Esprit »