Éviter les fausses routes et les déviations
Rigdzin Jigme Lingpa
Dans le “Rugissement du Lion” (l’élimination des déviations dans la tradition du Nying Thig), le grand maître Dzogchèn Rigdzing Jigmé Lingpa expose de façon directe et décapante les différents pièges et fourvoiements dans lesquels peuvent tomber les pratiquants de Mahamudra-Dzogchèn.
Les trois fausses routes
S’attacher aux expériences de félicité fait naître comme dieu du monde des désirs ; s’attacher aux expériences de luminosité fait naître comme dieu du monde de la forme pure (rupa loka) ; s’attacher aux expériences de non-conception fait naître comme dieu du monde sans forme. C’est ce qui est nommé : “les trois fausses-routes”. Expliquons en quoi elles consistent et leurs erreurs:
Bonheur
Bonheur se dit de l’expérience de joie et de bonheur qui apparaît lorsqu’on n’est pas séparé de l’état fondamental inaltéré par les trois grands mal-être fondamentaux. I1 ne s’agit pas du bonheur venant de désirs avec fixation, d’apparences agréables venant du changement d’objets et de facteurs extérieurs, ou de l’apparition de pensées de joie ou de bonheur.
Clarté lucidité
Clarté-lucidité se dit de la lucidité de l’intelligence et de la clarté inobstruée de l’apparent, en l’absence des altérations qui leur font obstacles telles que l’opacité ou la torpeur. I1 ne s’agit pas de la couleur, de l’aspect ou d’autres caractéristiques que pourraient prendre la forme des apparences illusoires.
Non-conception
Non-conception se dit de l’expérience a-conceptuelle, semblable à l’espace, l’absence d’agitation des conceptions illusoires habituelles : “toutes et n’importe quelles pensées”. Il ne s’agit pas de la cessation des sensations, comme si 1’on tombait inconscient ; ou d’une obscurité, comme le sommeil profond.
En bref, ne pas comprendre que ces trois types d’expériences sont simplement des points de repère qui apparaissent spontanément sur la voie; et les méditer intentionnellement espérant qu’elles viennent, ou encore, lorsqu’elles apparaissent, s’y attacher en les considérant comme étant la méditation véritable, ne permet pas d’aller au-delà des causes de fausses-routes dans l’un ou l’autre des trois mondes samsariques.
Les quatre déviations
Ce sont les quatre compréhensions erronées de la vacuité:
1 – La déviation de la vacuité comme nature à connaître.
2 – La déviation de la vacuité comme voie.
3 – La déviation de la vacuité comme antidote.
4 – La déviation de la vacuité “plaquage”.
Dans chacune de ces déviations il est possible de distinguer une déviation primordiale et une déviation accidentelle ; néanmoins, en un résumé synthétique :
1-la vacuité déviée comme une nature que l’on connaît
L’état fondamental de la vacuité ultime est l’état parfaitement pur de toute éternité, libre des superfétations que sont les phénomènes (dharmas), représentations mentales ; c’est l’intelligence de la présence d’immédiateté, la pureté primordiale, la grande ouverture d’absence.
Ne pas le comprendre et pratiquer la vacuité comme quelque chose de séparé en appliquant aux apparences la notion de vide, est la vacuité déviée comme nature connue.
2-la vacuité déviée comme voie
Sans faire confiance à l’intégration en la voie de l’esprit ordinaire l’intelligence qui se comprend en elle-même et sans comprendre la nature indissociable de la cause et du fruit dans leur apparition primordiale spontanée — faire des efforts avec des représentations mentales espérant qu’en méditant la vacuité comme voie, le Dharmakaya apparaîtra comme un résultat autre —, est la vacuité déviée comme voie.
3-la vacuité déviée comme remède
Quelles que passion ou pensée qui apparaissent, leur essence n’ayant jamais été autre que la vacuité, il n’y a pas lieu de considérer ce qui est à abandonner — les passions et le remède, la vacuité — comme deux choses distinctes. Sans comprendre le point essentiel de l’auto libération, l’intelligence reconnaissant ce qui est à abandonner qui, en même temps, se dénoue comme un nœud de serpent, méditer séparément une vacuité qui s’appliquerait comme remède sur les pensées et émotions à abandonner, est la vacuité déviée comme remède.
4-la vacuité déviée comme plaquage
Ne pas comprendre les états avec conception ou sans conception comme étant depuis toujours la grande immensité, l’espace de Samanthabadri, la grande union auto-subsistante de la clarté vide et, avec la fixation d’un sujet et des modes de saisies qui s’entraînent à l’absence de référence, — désuni upaya et prajna séparés — sans cultiver l’intelligence immédiate de l’ordinaire, I’attention de la continuité sans référence au-delà de l’intellect, méditer en posant dans le mental une notion primordiale telle que “il n’y a ni méditant ni médité”, “tout est vide”, “tout est dharmakaya ”, “les fruits du karma ne sont pas vrais”, “c’est mental”, “c’est des pensées”, “rien n’existe”, (tout ceci) est ce qui est nommé : “plaquer la conclusion d’une vue de la vacuité”. C’est aujourd’hui ce que font de très nombreuses personnes.
Extrait de « Le rugissement du lion ». Karma Ling 2001