La force de l’amour et de la compassion
Kyabdjé Kalou Rinpoché
Pour le vénérable Kyabdjé Kalou Rimpotché, la médecine est l’art du don et, pour soulager la souffrance, le médecin doit aborder les patients avec un esprit de grand amour, de grande compassion.
Celui qui diagnostique les maladies et qui administre les remèdes, c’est le médecin. Qu’il s’agisse d’un médecin de la tradition bouddhique tibétaine ou d’un médecin occidental, cela ne fait guère de différence. Il faut de toute façon qu’il ait parfaitement étudié la science médicale, les remèdes, et qu’il ait acquis une connaissance pratique.
Toutefois, si la connaissance théorique et pratique est très importante, le médecin doit avoir aussi et surtout de l’amour et de la compassion. Il doit avoir compris que tous les êtres ont été nos mères et nos pères dans les vies passées, un très grand nombre de fois, et qu’ils ont tous eu alors pour nous le même amour, la même sollicitude, que nos pères et mères de cette vie.
Pourtant, tous ces êtres errent maintenant dans le samsara et souffrent de différentes manières. Dans les vies antérieures, tous les êtres ont accumulé différents karmas en accomplissant différents actes positifs et négatifs. La qualité du karma de chacun varie selon ce mélange de négatif et de positif. Cependant, tous ceux qui ont maintenant repris naissance humaine ont un karma plutôt positif puisqu’ils ont obtenu cette naissance humaine qui est un bon support d’existence.
Étant rené en tant qu’humain, du fait que nous sommes soumis à la saisie d’un ego, nous nous identifions à notre corps, nous pensons : « je suis mon corps ». Nous nous assimilons à notre corps et par conséquent aux cinq éléments qui le composent. Les différentes perturbations de ces cinq éléments, c’est-à-dire l’excès de l’un de ces éléments ou la déficience d’un autre, ou bien les troubles que les éléments peuvent produire l’un sur l’autre, provoquent différentes maladies, différentes souffrances. C’est l’esprit qui les éprouve.
Du fait que l’esprit s’assimile pour le moment au corps, non seulement nous éprouvons des maladies, des craintes, des angoisses, des souffrances, mais nous sommes aussi soumis à la mort. Tous les êtres qui ont été nos parents, qui ont eu pour nous cette grande bonté, tous se trouvent maintenant dans cette même situation. Ils s’assimilent à leur corps et ils en souffrent considérablement.
La médecine est l’art qui permet de dissiper ce type de souffrance. C’est pourquoi le médecin doit aborder les patients avec un esprit de grand amour, de grande compassion, un esprit d’aspiration à l’éveil de tous. C’est dans cet esprit qu’il doit se proposer de soulager les souffrances de ses patients.
Lorsqu’on a cette attitude d’amour et de compassion, l’esprit d’éveil, et que l’on est bouddhiste, c’est une attitude qui, bien sûr, correspond tout à fait aux enseignements de Bouddha. Car le cœur de ces enseignements est justement la vacuité et la compassion. Si l’on n ‘est pas bouddhiste, si l’on suit une autre tradition, ou même si l’on ne suit aucune tradition spirituelle, du moment que l’on a pour motivation l’amour et la compassion, cela ne fait pas de différence avec un praticien bouddhiste. Le mérite, la qualité positive d’une telle attitude, demeurera pour la personne en cette vie autant que pour les vies futures.
Il a été dit par le Bouddha que si la bodhichitta (c’est-à-dire l’aspiration altruiste, l’amour et la compassion) avait une forme matérielle, l’espace entier ne serait pas suffisant pour la contenir. Ceci a été dit simplement pour donner une idée de la grandeur et de la valeur de cette motivation.
La médecine, pratique du don
La voie qui mène à l’état d’Éveil, à l’état de Bouddha, est la voie des six paramitas ou six perfections (le don, la patience, l’éthique, la persévérance, la concentration et la sagesse). Un médecin qui exerce son art avec amour et compassion pour ceux qu’il soigne, pratique déjà la première des six paramitas, le don.
Le don revêt quatre formes: la première est le don de biens matériels, la deuxième est le don du dharma, le don de l’enseignement spirituel, la troisième est le don de la sécurité, la quatrième est le don de l’amour.
Le médecin qui agit par amour et compassion pratique au moins trois de ces dons. Tout d’abord, puisqu’il pratique par amour des êtres, il fait le don de l’amour. Ensuite, puisqu’il protège de la souffrance et de la maladie par ses remèdes, il pratique aussi le don de la sécurité. Enfin, s’il donne aux personnes qui n’en ont pas les moyens les remèdes nécessaires, sans que la personne ait à verser quoi que ce soit, il pratique le don de biens matériels.
La force de l’amour et de la compassion
Si deux médecins, l’un ayant l’esprit de compassion, l’autre ne l’ayant pas, donnent le même médicament, le remède reçu du premier sera plus efficace que le remède reçu de l’autre. Simplement parce que le remède sera alors chargé de la force de l’amour et de la compassion, une force très grande.
Il y avait en Inde un très grand sage qui s’appelait Atisha. Il vint au Tibet pour y susciter un développement nouveau des enseignements bouddhistes. Atisha eut un jour une maladie à la main. Il avait un disciple qui s’appelait Dromteunpa. Il n’était qu’un simple fidèle laïque, mais c’était un disciple très proche. Atisha lui demanda de prendre sa main dans la sienne et de souffler dessus. Dromteunpa répondit : « Certainement pas, je n’ai aucun pouvoir, cela ne fera rien du tout ». Atisha lui dit : « Si, parce que tu as beaucoup d’amour, beaucoup de compassion, et par conséquent je suis sûr que si tu prends ma main dans la tienne et que tu souffles dessus, cela la guérira ». Dromteunpa souffla alors et la maladie d’Atisha guérit.
Il est écrit dans les Quatre Tantras de médecine que la personne qui désire avoir une bonne pratique du dharma, qui désire être riche et heureuse, doit se mettre à étudier la médecine. Il est dit aussi que celui qui désire parfaire la paramita du don, doit étudier la science médicale. Il est dit enfin que celui qui aime les honneurs, qui aime que les autres le respectent et se courbent devant lui, celui-là aussi doit étudier la médecine.
Mais celui qui pratique la médecine sans l’esprit d’amour et de compassion, même s’il s’agit d’un médecin tibétain bouddhiste, on ne peut vraiment dire que ce soit un médecin. On dira plutôt que c’est un simple commerçant. Par contre, si l’on pratique avec amour et compassion, sans même être bouddhiste, on est véritablement un Bodhisattva.
Un médecin n’est pas un Bouddha. Il n’a donc pas l’omniscience et il peut arriver qu’il se trompe sur le diagnostic d’une maladie, que ce soit une maladie ordinaire ou une maladie causée par les esprits malins. S’il se trompe aussi sur les remèdes à appliquer, il arrive parfois que le patient en meure. Du moment que le médecin a agi par amour et compassion, il n’y a cependant pour lui aucune faute.
Au Tibet, on raconte la petite histoire de deux personnes dont l’une dit à l’autre :
– Est-ce que tu pourrais m’apporter la main de quelqu’un qui a tué cent personnes ?
L’autre répond :
– Oui, bien sûr, c’est la main d’un médecin.
Le premier reprend :
– Est-ce que tu pourrais m’apporter la main de quelqu’un qui a sauvé cent vies ?
– Oui, bien sûr, c’est la main d’un médecin.
Il est donc nécessaire que le médecin ait cette attitude d’amour, de compassion. Ce sera pour les autres très bénéfique. Pour lui-même, ce sera une source de grands mérites spirituels, ce sera aussi un moyen qui ultimement le conduira à l’Éveil, à l’état de Bouddha.
Extrait du livre « Le Bouddha de médecine et son mandala », Editions Marpa, juillet 1999
Exergue 1 : Il a été dit par le Bouddha que si la bodhicitta avait une forme matérielle, l’espace entier ne serait pas suffisant pour la contenir
Exergue 2 : Mais celui qui pratique la médecine sans l’esprit d’amour et de compassion, même s’il s’agit d’un médecin tibétain bouddhiste, on ne peut vraiment dire que ce soit un médecin.