L’être humain et la nature
Sri Mata Amritanandamayi Devi
Dans ce texte Amritanandamayi, nommée familièrement Amma, évoque en termes simples et lucides, la rupture entre la Nature et les êtres humains qui caractérise notre époque moderne, et la simplicité des relations qui les unissaient autrefois.
L’homme voit aujourd’hui la Nature comme séparée de lui-même à cause de son égoïsme. C’est la conscience que les deux mains sont « miennes » qui pousse l’une à consoler l’autre en cas de coupure ou de blessure. Nous n’éprouvons pas le même souci si quelqu’un d’autre est blessé, n’est-ce pas ? Cela ne vient-il pas de la notion : « ce n’est pas moi » ? Ce mur de séparation entre les humains et la Nature est créé principalement par le comportement égocentrique de l’homme. Les hommes pensent que la Nature n’existe que pour être exploitée et utilisée en vue de satisfaire leurs désirs égoïstes.
Cette attitude crée un mur, une séparation, une distance. Il est effrayant de constater que l’homme moderne a perdu sa largesse d’esprit à cause du développement énorme de la science. L’homme a découvert des méthodes pour produire cent tomates à partir d’un plant qui n’en portait habituellement que dix. Il a également réussi à doubler la taille des fruits.
Ces techniques ont certes permis de réduire en partie la pauvreté et la famine grâce à l’accroissement de la production, mais l’homme n’est pas vraiment conscient des effets nocifs des engrais et des pesticides artificiels qui pénètrent dans son corps avec les aliments dont il se nourrit. Ces produits chimiques détruisent les cellules du corps et en font une proie facile pour les maladies. Le nombre des hôpitaux aussi a augmenté tandis que les scientifiques multipliaient artificiellement le rendement des graines et des plantes, sans tenir compte de leurs limites naturelles. Bien que la science ait atteint des sommets inimaginables, l’homme, par son égoïsme, a perdu la vision claire des choses et la faculté d’agir avec discernement.
Ce n’est pas l’amour des plantes, mais le désir égoïste « d’avoir plus » qui pousse l’homme à utiliser des engrais et des pesticides artificiels. Un ballon ne peut être gonflé que jusqu’à un certain point, au-delà duquel il éclatera si on continue à lui insuffler de l’air. De même, une graine a un rendement limité. Si nous n’en tenons pas compte et continuons à essayer d’augmenter ses capacités de production par des moyens artificiels, la force et la qualité de la graine en seront gravement affectées. Elle deviendra même un poison pour ceux qui la mangeront. Autrefois, l’eau et l’engrais naturel suffisaient à la culture. La situation est aujourd’hui différente. Les pesticides et les fertilisants sont devenus partie intégrante de l’agriculture, à tel point que les systèmes immunitaires des plantes et des graines sont affaiblis et on perdu leur capacité de combattre les maladies. Les méthodes naturelles au contraire renforcent le pouvoir de résistance à la maladie. La religion nous recommande d’aimer humblement chaque chose avec vénération. Les inventions scientifiques doublent les quantités mais la qualité elle, a diminué.
Mettre des oiseaux ou des animaux en cage est du même ordre que de nous jeter en prison. La liberté est le droit de naissance des êtres vivants. Qui sommes-nous pour supprimer cette liberté ? En injectant des hormones aux poules nous essayons de faire grossir les œufs. Nous leur faisons pondre deux œufs par jour en les enfermant dans l’obscurité puis en laissant pénétrer la lumière après quelque temps, pour leur donner l’impression qu’une nouvelle journée commence. Mais en agissant ainsi nous écourtons de moitié la durée de vie de la poule. Les œufs perdent leurs qualités. Le désir de l’argent et du profit a aveuglé l’homme et détruit sa bonté et sa vertu.
Cela ne signifie pas que nous ne devrions pas songer à augmenter la production. Non, pas du tout. Le problème n’est pas là. Le problème est qu’il y a une limite aux choses et qu’aller au-delà revient à détruire la Nature.
Il est grand temps de réfléchir sérieusement à la protection de la Nature. Détruire la Nature signifie détruire l’humanité. Les arbres, les animaux, les oiseaux, les plantes, les forêts, les montagnes, les lacs et les rivières – tout ce qui constitue la Nature – ont désespérément besoin de notre bienveillance, du soin attentionné et de la protection de l’homme. Si nous les protégeons, à leur tour ils nous protégeront.
Le légendaire dinosaure et de nombreuses autres espèces vivantes ont complètement disparu de la surface de la terre car ils ne purent survivre aux changements de conditions climatiques. Si l’homme n’est pas prudent, il subira le même sort lorsque son égoïsme atteindra son apogée.
La protection et la préservation de la Nature ne sont possibles que grâce à l’amour et la compassion. Mais ces deux qualités sont en diminution rapide chez l’être humain. Afin d’éprouver un amour et une compassion réels, il est nécessaire de prendre conscience de l’unité de la force de vie, qui est le substrat et le soutien de l’univers entier. Cette réalisation ne peut survenir que par une étude approfondie de la religion et par l’observance des principes spirituels.
Nos ancêtres apprenaient à honorer les serpents comme des demi-dieux (devata). Qu’en est-il aujourd’hui ? Si nous voyons un serpent, nous le lapidons à mort. Nous abattons les arbres autour des temples et dans les régions boisées pour leur intérêt de l’argent. Si une vache ne donne pas assez de lait, nous n’hésitons pas à la vendre au boucher. Plus un être humain devient égoïste, moins il se sent concerné par la souffrance d’autrui. De nos jours, qui se soucie de savoir si les vaches ont été nourries, ou si les plantes ont été arrosées ? Et qui se soucie de savoir si les voisins meurent de faim ?
Autrefois, les gens se rassemblaient au crépuscule pour chanter les noms de Dieu. La paix et l’unité au sein de la famille étaient ainsi maintenues. L’atmosphère était purifiée par leurs prières récitées avec concentration et la beauté des chants dévotionnels, par les émanations de la lampe à huile et le vent porteur du parfum des plantes médicinales. Nos ancêtres trouvaient le temps de s’asseoir et de vénérer Dieu paisiblement, même s’ils étaient très pris par leur travail. Grâce à cela, ils pouvaient éviter les tensions mentales, ils dormaient d’un sommeil tranquille et étaient capables de faire face à toute situation en gardant le sourire.
Aujourd’hui, dans le meilleur des cas, nous avons une photo d’une divinité devant laquelle nous allumons une lampe. Dès le petit matin, à midi et le soir les membres de la famille regardent la télévision. Tous les programmes ne sont pas mauvais, mais la plupart polluent notre mental et contribuent à nourrir l’avidité, la jalousie et la haine en nous. Les gens veulent vivre dans une maison semblable à celle du film, les femmes veulent les mêmes saris que ceux portés par l’héroïne, et les hommes veulent conduire les mêmes voitures que celles des héros. S’ils ne l’obtiennent pas, ils se sentent frustrés. Les gens oublient que le film n’est qu’un monde imaginaire. Après avoir regardé la télévision, les enfants se mettent à voler, parfois même à tuer et ils n’ont aucun respect pour leurs aînés. Mais ceux qui, il y a bien longtemps, vivaient selon les principes religieux, ne se comportaient pas ainsi. La première chose qu’ils apprenaient, était que leur père et leur mère étaient Dieu. Ils appartenaient à une culture où les parents et les aînés étaient respectés et obéis. Prenant exemple sur leurs aînés, les enfants apprenaient à aimer la Nature et à vivre en harmonie avec elle. L’habitude leur venait naturellement d’arroser le jasmin, de donner de l’herbe aux vaches, et d’allumer la lampe à huile à la tombée du jour.
Extrait de L’Homme et la Nature, de Sri Mata Amritanandamayi Devi, Mata Amritanandamayi Mission Trust, Amritanandapuri, 1995.