L’expérience des cinq éléments

Tenzin Wangyal Rinpoché

Percevoir le caractère sacré de notre monde permet de s’ouvrir au dynamisme des cinq éléments qui constituent notre expérience. Ce sont les mêmes éléments qui composent notre corps et l’univers et il est possible de les équilibrer, de les harmoniser afin de maintenir une bonne santé et une relation saine avec notre environnement.

Dans le chamanisme, le Tantra et le Dzogchèn, les éléments sont considérés comme sacrés, comme les forces sous-jacentes à l’existence. Étant donné qu’ils sont sacrés, tout ce qui en émane – donc toutes choses – est aussi sacré. La nature extérieure est sacrée, aussi le corps est-il sacré. Les éléments de l’extérieur et de l’intérieur surgissent ensemble, de la même source. La chaleur du soleil et la chaleur du cœur sont différentes en degrés, pas en genre. L’eau des océans n’est pas différente de celle de notre corps. Notre chair est formée à partir des éléments de la terre et retournera à la terre. L’air de nos poumons est le même que celui où volent les faucons. L’espace duquel émane l’univers, l’espace occupé par le canapé de notre salon et l’espace dans lequel s’élèvent nos pensées sont le même espace sacré. Et tout ce qui existe dans l’espace – matériel et immatériel, matière et esprit – représente les éléments.

Étant donné que les éléments du corps sont sacrés, la conscience qui s’en élève est aussi sacrée. Qu’elle naisse de la sagesse ou de la passion, du rêve ou du cauchemar, l’expérience existentielle des êtres est une manifestation des cinq éléments en parfait équilibre, la quintessence de la luminosité de la base de l’existence. ( …)

Sans le sens du sacré, il est difficile d’avoir foi dans un enseignement religieux. Au Tibet, il est dit que si l’on traite son maître comme un chien, les enseignements n’ont pas plus de valeur que des aliments avariés. Si l’on traite son maître comme un ami, les enseignements sont aussi nutritifs que des aliments frais. Si l’on traite son maître comme une divinité, les enseignements sont comme un divin nectar. De la même façon, si nous considérons la nature comme une accumulation de processus mécaniques inertes, elle deviendra inerte pour nous. Si nous considérons notre corps comme une machine, il deviendra une machine pour nous. Si nous traitons la religion comme une lubie, elle deviendra une lubie pour nous. Mais si nous considérons que la nature est vivante, pleine d’esprits et d’êtres élémentaires, la nature nous parlera. Si, à l’instar du Tantra, nous considérons le corps comme un palais divin et le fruit d’un grand mérite, comme le véhicule suprême pour atteindre l’illumination, il deviendra alors un vecteur capable de nous emporter au-delà de la mort. Si nous considérons le dharma, les enseignements spirituels, en tant qu’enseignements sacrés qui nous guident sur la voie de la vérité, il nous conduira vraiment à la vérité. En considérant les éléments de la nature, de notre corps et de notre esprit comme sacrés, ils le deviennent ; ce n’est pas qu’un simple “truc” philosophique, c’est une prise de conscience de notre situation véritable. (…)

Quand nous travaillons avec les éléments, c’est un travail avec la base de l’expérience en regard de l’expérimentateur. Reconnaître les éléments dans la nature, leur beauté et leurs interactions, entrer dans la danse sacrée des éléments, c’est vivre dans un monde vivant, plein de mystères et de possibilités. (…)

L’environnement physique idéal pour les humains reste un territoire où la terre est fertile et saine, l’eau abondante et pure, l’air propre et frais, la température modérée. Il doit y avoir assez d’espace pour tout : fermes, animaux, villes et projets. En d’autres termes, ce devrait être un environnement où les éléments seraient parfaitement en équilibre pour nos besoins humains. Nous pouvons, bien sûr, vivre dans un registre d’environnement allant des plateaux glacials et arides du Tibet, des déserts, marécages ou forêts tropicales, jusqu’aux régions sauvages de l’Arctique. Les climats plus rudes exigent davantage de nous, davantage d’énergie et de lutte, qu’un environnement idéal.

De la même façon, la qualité de notre vie est meilleure quand les éléments internes sont en équilibre, mais nous pouvons survivre et le faisons d’ailleurs, même dans des états de déséquilibre. On considère que les fonctions biologiques de notre corps sont normales en se référant à certaines échelles : la pression sanguine doit être entre telle et telle valeur, le niveau hormonal entre telle et telle autre. Quand les fonctions s’écartent des niveaux admis, les effets négatifs augmentent. Une fois le déséquilibre bien installé. le corps est endommagé ou meurt. (…)

Nous pouvons réussir, avoir de bonnes relations et nous réjouir de notre vie, mais si nous ne sommes pas équilibrés, nous ne nous sentirons jamais tout à fait bien. A l’inverse, quand les éléments sont en équilibre, nous pouvons vivre des situations difficiles, avec peu de confort matériel, peu d’amis, etc., mais demeurer stables, souples et centrés. Nous n’aimerons sans doute pas notre situation, mais nous nous sentirons bien intérieurement.

L’étude et la pratique des éléments se proposent d’améliorer notre bien-être en nous donnant des outils qui leur permettront de retrouver l’équilibre à l’origine de la santé et de la plénitude dans toutes les dimensions de l’expérience. Il n’est nul besoin d’avoir une grande intuition pour savoir si nous sommes d’aplomb ou pas. Nous connaissons tous ces expériences. Elles partent du déséquilibre le plus inquiétant – psychose ou maladie grave – pour aboutir à l’équilibre parfait qui ne devient possible que lorsque nous demeurons dans la nature de l’esprit, la nature de bouddha. Dans notre vie quotidienne, nous sommes quelque part entre les deux, parfois plus en harmonie, parfois moins, selon le moment.

La notion d’équilibre des énergies élémentaires peut s’appliquer utilement à toutes fonctions, qualités ou activités humaines : santé, relations, pratique spirituelle, représentation psychologique, état affectif, environnement physique, etc. En considérant la dysharmonie des éléments comme une métaphore fondamentale, nous pouvons comprendre la maladie et le malheur ainsi que les obstacles à tous les niveaux de la pratique spirituelle. Équilibrer les éléments devient alors une métaphore de la guérison, le développement des qualités ou capacités et l’élimination des aspects négatifs. Si l’un des éléments domine, nous devons cultiver l’opposé. Par exemple, si nous sommes dominés par le feu, nous essaierons d’activer l’eau ou la terre et vice-versa. Si la terre est dominante – nous sommes engourdis, endormis, lourds – nous activerons alors l’air ou le feu. Et si c’est l’air qui domine en nous – nous sommes inconstants, nerveux, incapables d’attention soutenue – nous activerons alors la terre ou l’eau. Il existe de nombreux exemples de rééquilibrage dans la vie de tous les jours : si une fièvre devient dangereuse, il est conseillé de nous plonger dans l’eau froide; si nous avons trop froid, nous appliquons du chaud; si nous sommes déshydratés, nous buvons de l’eau.

Par nature, toute conceptualisation est symbolique, ainsi les cinq éléments sont les symboles d’une tradition ancienne d’une grande profondeur. Cependant, au-delà de la métaphore, les cinq éléments sont des énergies sur lesquelles le pratiquant peut travailler directement au moyen d’actions physiques, de mouvements énergétiques et du courant de la conscience.

Extrait de Guérir par les formes, l’énergie et la lumière, les cinq éléments dans le chamanisme tibétain,le tantra et le Dzogchèn. Ed. Claire Lumière, 2004.

 

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