S.E Bokar Rinpoché
2e Entretien
Cette deuxième partie des entretiens avec Bokar Trulkou Rinpoché fut conduite en tibétain par Lama Denis Teundroup puis traduite en français
– Dharma : Rinpoché, pourriez-vous donner quelques conseils à tous les disciples de Khyabdjé Kalou Rinpoché
Bokar Trulkou Rinpoché : Le corps de Rinpoché a cessé de vivre, il est parti en parinirvâna, mais son esprit demeure, il est l’ultime nature du Dharmakâya, au delà de la mort.
L’esprit d’un être éveillé est de son vivant comme l’espace contenu dans un vase qui représente les limites inhérentes à l’existence corporelle. A la mort, le vase est brisé, et son espace intérieur se fond en l’espace total. Nous avions l’habitude de percevoir l’esprit de Rinpoché en relation avec son apparence physique. A présent il a quitté son corps formel et son esprit s’est complètement fondu en l’étendu du Dharmadhatu. Son esprit s’est ainsi fondu avec notre esprit en lequel demeure le potentiel d’éveil, la nature de Bouddha.
Si nous méditons reconnaissant dans cette présence de l’esprit de Rinpoché indifférencié de notre esprit, c’est la meilleure méditation que nous pouvons faire, d’elle viendra la plus forte influence spirituelle que nous puissions recevoir. Essayez de demeurer dans cet état de méditation où l’esprit de Rinpoché et votre esprit sont indifférenciés, demeurez ainsi, le corps détendu, l’esprit paisible, vraiment c’est la meilleure méditation que vous puissiez faire.
L’esprit en essence est vacuité, il n’y a rien que l’on puisse voir d’une façon effective, concrète, il n’a pas d’existence propre ; cet aspect de vacuité est le corps ultime, Dharmakâya. Néanmoins, il n’y a pas que cet aspect de vacuité, il y a aussi l’aspect action : d’une façon incessante et continuelle s’élèvent des bonheurs et des souffrances. Ceci se réfère à la clarté de l’esprit que l’on appelle Nirmanakâya, le corps de manifestation, d’émanation. L’union de cette vacuité et de cette clarté est également le Sambhogakâya, le corps de jouissance. Depuis l’origine, ces trois corps sont présents en nous, mais c’est comme si nous ne l’avions jamais reconnu. Ces trois corps sont présents depuis l’origine en l’essence de l’esprit du Lama. Si nous demeurons maintenant absorbés en cette présence, les trois corps du Lama indifférenciés de notre esprit, cette méditation est la meilleure que nous puissions faire, et il n’y a pas d’autre méditation qui lui soit supérieure !
Rinpoché nous a donné de nombreuses instructions, et particulièrement l’un de ses principaux enseignements fut la méditation et la réflexion sur l’impermanence, que ce soit l’impermanence des phénomènes extérieurs ou celle des phénomènes intérieurs : du monde ou bien des êtres. Quand Rinpoché nous enseignait sur l’impermanence, nous avons toujours pensé : « oui, nous comprenons cela, on pensait cela, on y a réfléchi » ; pourtant, nous avons toujours manifesté un attachement très fort aux phénomènes comme ayant une existence réelle. Cette fois-ci, Rinpoché n’a pas donné d’enseignement, mais nous a simplement montré par son corps même, par son départ, cet enseignement sur l’impermanence. Il l’a montré comme s’il nous présentait quelque chose de jamais vu, en partant ainsi. Il faut comprendre que cet enseignement sur l’impermanence est une instruction sur laquelle nous devons réfléchir, que nous devons prendre à cœur. Nous devons penser que nous-même, notre corps, est impermanent, et qu’un jour aussi nous partirons. Si auparavant nous avons médité sur l’impermanence, c’est bien. Si nous ne l’avons pas fait, ce qui importe c’est de pratiquer avec notre plus grande ferveur, notre plus grande diligence pour essayer d’intégrer cette instruction.
– Rinpoché, voudriez-vous, pour les lecteurs de Dharma, expliquer ce qui se passe quand un lama réalisé quitte son corps ; et nous dire aussi, ce qu’il faut entendre par renaissance, comment elle revient ?
L’essence fondamentale du lama a la nature de Bouddha mais, pour les êtres qui sont dans le samsâra il apparaît dans un corps formel. D’abord, il naît, pratique étude, réflexion et méditation des enseignements, œuvre pour le bien des êtres, puis quitte son corps. Il manifeste dans son corps formel un processus de vie et de mort qui est, d’un point de vue extérieur, analogue à celui d’êtres ordinaires. C’est ainsi qu’après avoir accompli tout ce qu’il avait à accomplir, il s’en va en parinirvâna. Les pouvoirs du corps formel sont ainsi épuisés, il y a comme une coupure puis un nouveau corps formel renaît, c’est une nouvelle existence (« yangsi »). Il accomplit de nouveau une activité éveillée pour le bien des êtres. C’est ainsi que l’on peut comprendre le passage en nirvâna. Du point de vue du samsâra, le départ du corps est inévitable : « La fin de tout ce qui est né est la mort ».
Un lama qui qu’il soit, fût-il Bouddha ou bodhisattva s’il se manifeste dans le monde, est soumis à la naissance, à la vieillesse, à la maladie et à la mort. Néanmoins, ces évènements ne sont pas causés par un karma de dépendance et en ces situations, un être éveillé est libre des souffrances qui sont celles des êtres ordinaires. Mais c’est inévitable, même le Bhagavat Bouddha dans ses douze actes éveillés a manifesté naissance, maladie, vieillesse et mort.
Le parinirvâna d’un lama a plusieurs raisons : il est, comme nous venons de le dire, en accord avec le mode d’être de toutes manifestations ; d’autre part, il stimule l’esprit des êtres qui, comme nous, s’attachent aux choses comme étant permanentes, et il permet aussi de revenir dans une nouvelle existence (yangsi), et de continuer ainsi les œuvres entreprises pour le bien des êtres.
En ce qui concerne sa nouvelle existence (yangsi), d’une façon générale, un être authentique est quelqu’un qui a, en de nombreux kalpa, pratiqué les développements et la purification des voiles, qui a généré auparavant un esprit éveillé tourné vers tous les êtres et formulé de nombreux souhaits pour leur bien. C’est déjà par le pouvoir de ceux-ci qu’ils ont pu en cette vie faire de grandes actions pour le bien des êtres et de l’enseignement. C’est aussi par le pouvoir de leur bodhicitta et de tous leurs souhaits antérieurs qu’ils reprennent naissance comme Nirmanakâya. Un être ordinaire prend naissance par le pouvoir du karma, sans liberté ; ce qui n’est pas le cas pour un être éveillé. Il se manifeste par le pouvoir de ses vœux et souhaits antérieurs, il le fait librement comme il le juge bon, pour continuer à œuvrer pour le bien des êtres. C’est ce qu’on appelle une renaissance pure (yangsi).
Vous avez, l’autre jour, dans votre enseignement, suggéré qu’il fallait considérer que Rinpoché était comme parti en vacances. Quand pensez-vous qu’il va rentrer de vacances et revenir parmi nous ? (rires)
Habituellement, on n’a pas beaucoup de vacances : chaque année un mois ou deux au maximum (rires). J’espère donc que Rinpoché reviendra rapidement. Peut-être dans deux ans ?
Il y a une sorte de rêve prémonitoire dans la biographie de Rinpoché, concernant ses vies ultérieures. Vous souvenez-vous de la formulation ?
Au début, le lieu de naissance :
Dans Hor, la partie supérieure.
Au milieu, la pratique :
L’enseignement sacré de la grande perfection :
Le quatrième temps, libre des trois, pur depuis l’origine.
A la fin, le lieu de mort :
Au mont de sable de la non-pensée.
Puis, naissance à nouveau,
Aux confins de Do et de Ongbou,
Né fils de mendiant.
Des êtres innombrables,
Au-delà de la nature de l’esprit,
Sont mis sur la voie de la libération.
Puis naissance à nouveau
Dans le champ pur de félicité.
Il y a encore deux vers, mais pour le sens général, il est question de deux naissances : une à la frontière de Do et de Ongbou, puis dans la terre pure de Déouatchène. Je ne suis plus très sûr des deux derniers vers.
– Pensez-vous que cette prédiction sera utile pour retrouver Rinpoché ?
Oui. Je pense que ce sera vraiment utile, je pense qu’il renaîtra en accord avec sa prédiction.
– Rinpoché a t’il laissé des instructions spéciales pour ses disciples, son monastère et ses centres du Dharma ?
Avant son départ en parinirvâna, Rinpoché n’a donné aucune instruction ni conseils particuliers. Mais, d’une façon générale, nous savons ce qu’il souhaitait et tous les conseils qu’il donnait tout le temps. Il n’a rien dit ni ajouté avant son parinirvâna. Il exprima simplement que sa vie s’achevait, qu’elle avait été comblée, et que lorsqu’il mourrait, il n’aurait pas de regret.
– Auriez-vous quelques conseils à donner à tous les disciples de Rinpoché ?
Rinpoché est parti en parinirvâna, mais il ne faut pas que nous tous, ses disciples, soyons déprimés et abandonnions pour autant nos œuvres dans le Dharma. Il nous faut essayer, maintenant, autant que nous le pouvons, de réaliser son souhait et sa vision.
Jusqu’au retour de sa nouvelle existence (yangsi), ses lamas et disciples sont ses régents en occident, et il est important que nous tous, tous ceux qui sont venus en Inde, et les autres, nous réalisions les souhaits que Rinpoché formula pour le Dharma, que nous pratiquions ainsi sans interruption.
(Le gong commence à sonner, appelant Bokar Rinpoché à l’office).
Nous sommes tous ses disciples, les détenteurs de ses enseignements, et il est très important que nous restions bien en harmonie et qu’en tant que ses disciples, nous agissions autant que nous en sommes capables dans l’esprit de ce que fut sa vie et son exemple. Voilà ce qui me semble important.
Je vous remercie beaucoup, Rinpoché.