Lama Gyaltsen Ratak

Dharma : Lama Gyaltsèn, vous avez été toute votre vie l’assistant de Khyabdjé Kalou Rinpoché. Pourriez-vous nous parler de votre longue expérience auprès de lui ?

Lama Gyaltsèn : Je n’ai rien de bien particulier à dire si ce n’est le sentiment de mon cœur. Rinpoché était un lama tout à fait exceptionnel, et il me semble pratiquement impossible de lui trouver un semblable. Ses qualités et son activité étaient merveilleuses. Il m’est difficile de l’expliquer, mais tout ce qu’il faisait, jusqu’aux plus petites choses, était vraiment merveilleux, car complètement dédié au bien d’autrui. Il ne faisait pratiquement jamais rien qui soit pour lui-même. C’est ce que j’ai découvert petit à petit. J’ai rencontré beaucoup de lamas qui œuvrent pour le bien d’autrui, mais qui, aussi, font des choses pour leur intérêt personnel. C’est bien sûr déjà merveilleux, mais ce qui m’a frappé chez Rinpoché est que dans tout ce qu’il disait, faisait ou entreprenait, il ne pensait toujours qu’aux autres, jamais à lui. Il me semble très difficile de trouver un tel lama. C’est tout ce que je puis dire.

– Maintenant, après le départ de Rinpoché, qu’est-ce qui vous semble le plus important pour réaliser les souhaits. Quels conseils à ce sujet pourriez-vous donner à tous ses disciples ?

Ses disciples savent bien ce qu’il disait tout le temps : de pratiquer complètement véritablement le Dharma sans y mélanger d’autres choses, de se concentrer entièrement à la pratique comme le fit par exemple Milarépa. Ce qui rendait Rinpoché heureux était de savoir que ses disciples pratiquaient vraiment le Dharma. C’est le mieux de tout ce que ses étudiants peuvent faire. Il insistait sur le fait que tous ses disciples et particulièrement ceux qui enseignent le Dharma aient une attitude de compassion et une confiance profonde en les Trois joyaux. Il disait qu’avec cette attitude, ils ne feraient pas d’erreur : qu’on ne se trompe pas en ayant une profonde compassion pour tous les êtres et une grande confiance en les Trois joyaux. Le souhait de Rinpoché était que tous ses disciples développent ces qualités.

– Certains projets de Rinpoché lui tenaient particulièrement à cœur : la construction du grand stûpa de Salougara, et la traduction de l’Encyclopédie des connaissances traditionnelles. Pensez-vous que ces projets pourront se concrétiser prochainement ?

Je l’espère. Le plus important pour le stûpa sont les éléments qu’il contiendra comme consécration : les mantra, zoung, les tsa-tsa et le « pôle essentiel ». Tous ces éléments extrêmement importants ont déjà été préparés par Rinpoché.

Il a terminé avant d’aller à Bodhgaya cent mille tsa-tsa, au retour il y a placé zoung et couleurs, et les a consacrés personnellement. Il a aussi demandé de faire cent huit récitations de mantra, pour la consécration de chaque tsa-tsa. Cela va prendre plusieurs mois. Tous les lamas et moines du monastère vont y participer. Nous allons commencer dès la fin de la saison chaude dans la plaine. Pour le bâtiment extérieur, plus de la moitié de celui-ci est déjà terminée. Sa finition va peut-être encore prendre six mois mais j’ai bon espoir que nous pourrons réaliser exactement ce que Rinpoché souhaitait.

En ce qui concerne la traduction de l’Encyclopédie des connaissances traditionnelles, et du comité de traducteurs qui s’en occupe, c’est un projet que Rinpoché avait depuis de nombreuses années : depuis 1977 ou 1978. Il souhaitait faire la traduction de cette encyclopédie en anglais.

A l’époque, il espérait que le projet intéresserait différents grands lamas et qu’il serait possible qu’ils y travaillent ensemble. Chacun d’eux ayant parmi ses disciples de bons traducteurs qui pouvaient coopérer. Il était allé voir dans ce sens Sa Sainteté Karmapa, Sa Sainteté le Dalaï-Lama et d’autres grands lamas. Tous apprécièrent le projet et dirent qu’ils participeraient à se mise en oeuvre, mais Rinpoché dut attendre de nombreuses années car personne ne voulait s’engager vraiment dans ce travail et il en fut très déçu. Sa Sainteté Karmapa partit en parinirvâna, de même que Sa Sainteté Dudjom Rinpoché et le très vénérable Trungpa Rinpoché.

Il n’eut plus beaucoup d’espoir que d’autres puissent beaucoup y contribuer, et décida alors d’essayer de réaliser lui-même ce projet. Il considérait que c’était un ouvrage très important pour le bouddhisme tibétain, pour sa connaissance en occident, et pour les Tibétain eux-mêmes. Djamgœun Kontrul Rinpoché qui a eu la grande bonté de l’écrire, a par là énormément revivifié tout le bouddhisme tibétain. Rinpoché pensait qu’une traduction anglaise accessible à tous serait très utile, qu’elle pourrait être bénéfique pour des centaines, voire des milliers d’années. Initialement, Rinpoché avait peu de disciples parlant tibétain, Par la suite il en eut davantage et pensa qu’ils pourraient entreprendre cette œuvre. Il constitua le comité international de traducteurs.

Beaucoup de personnes pensèrent que c’était un peu fou, âgé comme il l’était, d’entreprendre un projet d’une telle envergure. Il décida néanmoins de s’y consacrer autant qu’il le pourrait, aussi longtemps qu’il vivrait. Il voulait que ses étudiants y travaillent autant qu’ils le peuvent, et espérait qu’à sa mort, de grands lamas poursuivraient son action et la mèneraient à son terme. Il le dit de très nombreuses fois. Auprès de ses étudiants, il insista sur l’importance qu’il attachait à ce projet de traduction, et sur les bienfaits qui en découlent.

Il dit même :

« Faire la retraite de trois ans est merveilleux, mais aider à ce projet l’est peut-être encore plus, considérant tous les bénéfices qu’il aura pour d’autres êtres ».

J’espère donc que ses étudiants qui parlent tibétain et les lamas tibétains n’oublieront pas le vœu de Rinpoché. De mon côté, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour appuyer l’action de ce comité peut avoir besoin. J’espère ainsi que le projet pourra se réaliser avant trop longtemps et qu’ainsi l’un des principaux souhaits de Rinpoché se réalisera.

– Vous avez dit que vous aviez eu l’impression que Rinpoché savait qu’il allait partir et qu’il avait tout préparé pour son départ. Pourriez-vous nous expliquer ce qui s’est passé ?

Il y a eu de nombreux épisodes, mais celui qui m’a le plus frappé est lorsque je lui ai demandé un jour de faire un mo, une divination. Il n’était pas en très bonne santé et il y avait différents projets : d’aller en France, à Singapour, aux Etats-Unis, ou ailleurs en Inde dans un bon hôpital. Je lui ai demandé de faire une divination pour choisir ce qu’il fallait faire. Il m’a répondu qu’il pensait que maintenant sa vie touchait à son terme et qu’il n’y avait rien qui puisse aider. Cela m’a rendu très triste. C’était deux mois avant son départ.

– Vous avez maintenant la charge de continuer la vie du monastère. Une association d’aide a été fondée. Ne pensez-vous que votre tâche sera difficile. Comment cela va-t-il se passer ?

Je pense que ce va être difficile pour le monastère. Nous avons ici de nombreux jeunes moines dont la plupart viennent de familles pauvres qui n’ont pas la possibilité de les prendre en charge. Le monastère doit donc s’occuper d’eux.

Dans certains monastères, les parents prennent en charge les enfants qui y font leurs études, ce qui aide beaucoup. Ce ne va pas être possible dans notre cas. Le souhait de Rinpoché était d’accueillir et de s’occuper de tous les enfants pauvres que les familles confiaient au monastère. Ils sont nombreux et sans aide. Depuis deux ans, a commencé en France une association Kalou Rinpoché d’aide à l’enfance. Elle n’aidera pas seulement pour Sonada, mais aussi ailleurs, des enfants qui en ont besoin. Elle aidera néanmoins d’abord des enfants du monastère. Si j’en ai les moyens, je pourrai acheter ce dont ils ont le plus besoin : lits, couvertures, habits, nourriture, etc.

La situation n’était pas trop difficile du vivant de Rinpoché. De nombreuses personnes qui venaient faisaient des offrandes. Certaines cinquante centimes, quelques roupies, d’autres quelques centaines. Tout ce que Rinpoché recevait, il me demandait de le garder, tout était mis dans un coffre avec la clé près de Rinpoché, et j’y puisais suivant les besoins en le partageant chaque mois entre les centres de retraite, le monastère principal, le surplus éventuel était utilisé pour le Dharma : la réalisation de tankha, de stûpa ou d’autres projets.

Maintenant Rinpoché n’est plus, et le monastère n’a plus de revenus. C’est une situation difficile mais je vais essayer de continuer d’œuvrer pour le monastère autant que je le peux. J’espère que dans le futur les bienfaiteurs de Rinpoché et ses centres du Dharma aideront. Je fais de mon mieux et j’espère que sa renaissance va venir.

J’ai travaillé toute ma vie pour Rinpoché, je ne peux pas abandonner maintenant et vais continuer avec toute mon énergie. Je vais travailler, dans quelques années il reviendra, et j’espère le revoir. Puis, d’autres disciples viendront et j’espère qu’ils prendront la relève, mais il me faut continuer mon travail jusque là.

– Est-ce que Rinpoché a laissé des instructions particulières pour sa succession ou pour ses centres du Dharma ?

Rien de particulier. Il dit de continuer ce qu’il avait fait toute sa vie. Il a confié une responsabilité dans le Dharma à chacun. Il a simplement dit de continuer pour le bien de tous les êtres, qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter ni de faire des changements. Il a donné à chacun un travail qu’il doit continuer pour le bien de tous. Il n’y a rien de particulier, c’est mon sentiment.

– Où pensez-vous réaliser le stûpa qui recevra le Mardoung de Rinpoché ? Et quand pensez-vous qu’il pourra être fait ?

Je pense qu’il sera construit en haut du monastère à un endroit que Rinpoché aimait particulièrement, et où il avait l’habitude de venir méditer chaque fois qu’il le pouvait. Il y allait souvent, presque chaque jour. Cet endroit a un caractère sacré, il a été consacré par sa présence et sa méditation. Son stûpa diffusera une grâce sur toute la région. C’est là que je pense que nous le construirons.

J’en ai parlé avec Sitou Rinpoché, Kontrul Rinpoché et d’autres Tulkous, tous ont le même sentiment : la construction devrait commencer dès la fin de la mousson.

– Pensez-vous faire un stûpa ou un temple qui contiendra le stûpa à l’intérieur ?

J’espère que nous pourrons faire un temple ni très grand, ni très petit et au centre le stûpa en marbre blanc. Le temple qui l’abritera serait en ciment, Sonada est une région très humide, le ciment ou les pierres est ce qui durera le mieux sous ce climat ; mais à l’intérieur, le stûpa serait en marbre. L’extérieur du stûpa pourrait peut-être aussi être en marbre avec un passage couvert à la périphérie qui permettrait de le circumambuler à l’abri de la pluie. J’aimerais aussi pouvoir inclure dans le temple quatre ou cinq chambres dans lesquelles de bons lamas pourraient accomplir des prières et des pratiques du Dharma. Ce serait d’un grand bénéfice pour tous les êtres. C’est ce que j’espère pouvoir faire.

– Est-il possible de faire des dons pour la réalisation du stûpa de Rinpoché ?

Différentes personnes m’ont déjà offert de l’argent à cet effet. Je n’ai pas encore beaucoup mais déjà un petit peu pour commencer. J’espère que d’autres personnes m’aideront aussi. Il y a de ses étudiants qui souhaitent faire quelque chose pour Rinpoché. De toute façon, j’essaierai de faire au mieux pour réaliser ce stûpa.

– Y a-t-il quelque chose d’autre de particulier que vous souhaiteriez dire ?

J’ai été content de pouvoir parler avec vous.

– Ce n’est pas moi aujourd’hui, mais tous les lecteurs de Dharma (rires).

(rires). De toutes façons, ça a été un plaisir, j’en suis heureux.

Merci beaucoup, lama Gyaltsèn.

 

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