Allocution publique
Taï Sitou Rinpoché
Cette allocution publique de Son Eminence Taï Sitoupa fut prononcée dans le grand temple de Sonada le 28 juin 1989. Elle a été traduite en français par L. Tcheuky Sèngué.
Une méditation d’une importance particulière
D’un point de vue ordinaire, la situation présente est une situation triste. Toutefois, si nous la regardons d’un point de vue spirituel, c’est au contraire une situation dotée d’un caractère sacré particulier. Il est dit dans les enseignements du Bouddha et plus particulièrement dans les tantras, que lorsque se produit une telle situation, l’esprit du maître et l’esprit des disciples se trouvent dans une plus grande proximité, que l’esprit du maître et l’esprit des disciples peuvent se rencontrer. Tout ceci, vous le savez déjà. Toutefois, dit Rinpoché, je voudrais vous rappeler que toutes les méditations que vous faites maintenant, le lamai-nèldjor ou toute autre méditation, a, dans la situation présente, une importance particulière.
Envisager le bouddhisme comme un tout
Le départ de Rinpoché est une perte extrêmement grande, non seulement du point de vue des disciples, mais aussi du point de vue de la lignée. Car, de ce deuxième point de vue, Rinpoché avait une qualité très spéciale, qui était d’envisager le bouddhisme comme un tout n’ayant pas d’aspects fragmentaires. Il avait le point de vue que l’on appelle « non sectaire », encore faut-il bien comprendre ce que l’on entend par là. Car ce point de vue non sectaire peut devenir lui-même une sorte de sectarisme. Chacun sait qu’il y a dans le bouddhisme tibétain cinq écoles, si jamais on fait de ce point de vue non sectaire un point de vue sectariste, et bien l’on aura six écoles. Mais ce n’est pas du tout la manière dont Rinpoché envisageait les choses. Pour lui, il respectait toutes les lignées, toutes les traditions, comme étant des enseignements du Bouddha lui-même. Il reçut des enseignements de toutes les lignées, suivait des enseignements de maîtres de toutes les lignées, et il pratiqua selon tous ces enseignements. C’est dans ce sens qu’il est un maître des traditions, non sectaire.
La stérilité de la connaissance sans la pratique.
Dans le cadre de ses différents enseignements, c’est toutefois plus particulièrement dans les lignées Karma Kamtsang et Changpa Kagyu que Rinpoché inscrivait son propre enseignement. Le point sur lequel il a toujours insisté, c’était la méditation et la pratique, ce qui est le plus important. Il faut d’abord savoir, mais il faut ensuite pratiquer. Acquérir une connaissance sans que celle-ci débouche sur une pratique, c’est pratiquement stérile : on peut devenir extrêmement savant en quoi que ce soit en étudiant durant sa vie, si cela ne débouche pas sur une pratique, ce n’est que de très peu d’utilité.
Des moyens pour que tous puissent pratiquer
Dans cette optique, Rinpoché a fondé des centaines de centres de retraite, non seulement en Orient mais aussi en Occident. Son activité ne s’est pas néanmoins limitée à cela : il a aussi mis en œuvre des travaux de traduction. Il a donné des moyens pour que tous puissent pratiquer. Ces activités, Rinpoché les a poursuivies jusqu’à la fin de sa vie, et il a vécu jusqu’à un âge très avancé, ce qui lui a permis de mener à leur terme la plupart de ses activités, et sinon de donner des directives pour qu’elles soient poursuivies.
Sa perte n’est donc pas pour nous seulement l’occasion d’une tristesse sentimentale telle que l’on peut en avoir lorsqu’une personne de très grande importance décède, mais c’est aussi la perte d’un enseignant exceptionnel. Nous pouvons le comprendre d’une part par l’activité qu’il a développée tout au cours de sa vie, d’autre part par le fait que cette activité a pu se poursuivre au cours de très nombreuses années, puisque Rinpoché a atteint pratiquement l’âge limite de la vie humaine.
Ceci c’est le passé de la vie de Rinpoché, pour l’avenir nous attendons sa venue, son incarnation sera recherchée et recevra l’héritage traditionnel, et par elle, l’activité de Rinpoché sera poursuivie.
Le dharma dans la vie quotidienne : son véritable sens
Voici ce qui est le plus important. Vous tous, vous avez été assez fortunés pour recevoir des précieux enseignements de Rinpoché. Ce qu’il vous faut faire, maintenant, c’est vous appliquer au mieux pour les mettre en pratique dans votre vie quotidienne. Il ne faut pas séparer la pratique du Dharma d’une part, et d’autre part votre activité quotidienne. Il ne faut pas être quelqu’un de parfait en tous points lorsque nous sommes assis sur notre coussin ou lorsque nous sommes devant notre autel, puis au contraire ne plus être une personne si parfaite lorsque nous nous trouvons dans les situations quotidiennes de la vie.
L’essence du Dharma ne doit pas être laissée sur l’autel, au contraire nous devons continuer le Dharma, nous devons emporter le Dharma avec nous dans la rue, aux magasins, au bureau, partout où nous nous trouvons. Si nous faisons ainsi, l’enseignement que nous avons reçu de notre maître prend véritablement un sens.
Cultiver ce qui est positif
En premier lieu, nous devons éviter d’accumuler des actes et des intentions négatives, tout ce qui peut être nuisible pour nous-mêmes ou pour autrui, dans les activités de notre corps, de notre parole et de notre esprit. Puis, le pas suivant, c’est d’accumuler au contraire tout ce qui est positif, le mérite et la sagesse, de mettre en œuvre tout ce qui est profitable autant pour soi-même que pour les autres. Bien sûr en plus de cela, il existe de nombreuses méthodes, les visualisations, la méditation assise, la récitation des rituels, etc. ; mais il ne faut pas oublier que ce ne sont que des méthodes pour devenir une personne plus saine, plus utile, plus bénéfique tant pour soi-même que pour les autres.
Si donc, vous faites de votre mieux pour agir de la sorte et pour influencer vos amis en ce sens, eh bien, dans ce cas, vous suivez véritablement les enseignements que vous avez reçus. Et la peine que vous avez prise pour les recevoir, toute la peine que votre maître a prise pour vous les donner, prennent véritablement leur sens.
Une longue retraite et une activité maintenue
Plusieurs personnes m’ont fait part de leurs soucis de ce qui adviendrait désormais après le départ de Rinpoché. Toutefois il faut savoir que Rinpoché, votre maître, a pris soin de donner des directives concernant toutes ses activités ; en conséquence il n’y a aucun souci, aucune inquiétude à se faire. Tous les projets, toutes les activités ont été détaillées de manière précise par Rinpoché. Et Rinpoché reviendra, vous serez de nouveau avec lui, vous pourrez de nouveau le voir, et l’entendre. Prenons l’exemple du monastère dans lequel nous nous trouvons, et des activités qui dépendent de lui. Rinpoché a indiqué très clairement que pour le moment, tout ceci serait placé sous la responsabilité de Bokar Rinpoché, de Khènpo Deunyeu, et de son neveu Lama Gyaltsèn. D’autre part, tous les lamas, tous ceux qui sont chargés de la discipline, tous les maîtres et tous les enseignants continueront leur activité selon les directives qu’ils ont reçues.
Nous devons regarder la situation présente comme si notre gourou était parti pour une longue retraite de quelques années, pendant laquelle nous ne le verrions pas, et puis au bout de cette retraite, nous le verrons de nouveau. C’est la même chose pour le retour de Rinpoché. Si je dis ceci, c’est parce qu’un certain nombre de personnes m’ont fait part de leur inquiétude sur ce sujet, et c’est aussi parce que dans votre environnement culturel vous n’avez pas nécessairement sur les notions de réincarnation toutes les informations qu’il faut avoir, donc je vous donne ceci à titre d’information.
Les Éminences qui sont ici présentes soutiendront toujours l’activité de Kalou Rinpoché, moi-même je soutiendrai l’activité de Rinpoché, donc vous n’avez tous aucune inquiétude à avoir.
Une pratique traditionnelle : le reliquaire et le stûpa qui conserveront le corps de Rinpoché
Tous les disciples et tous les lamas de Rinpoché ont souhaité que son corps soit conservé et que pour ceci, on fasse ce qu’on appelle en tibétain un mardoung, c’est-à-dire un embaumement. C’est une pratique traditionnelle, qui ne se fait pas pour tous les maîtres, mais qui se fait quelquefois pour certains maîtres.
Les bienfaits d’une telle coutume sont écrits dans les textes traditionnels : il est dit tout d’abord que c’est un bienfait pour la continuité pure de la pratique et des enseignements, mais il est dit aussi que préserver un corps de cette manière induit une influence bénéfique pour tout l’environnement, pour les gens qui vivent dans la région ; pour le pays même c’est un facteur de paix. Il est dit encore que tous ceux qui ont une connexion avec le corps embaumé, que ce soit une connexion par simplement le fait de le voir, ou encore le fait de lui rendre hommage, eh bien tous ceux-ci verront se développer en eux la compassion et la sagesse et verront s’accomplir tous les souhaits purs et sincères qu’ils peuvent formuler. C’est pourquoi, personnellement, je considère qu’il est approprié de garder le corps de cette manière, et il a été décidé de procéder ainsi, et décidé d’édifier ensuite le reliquaire et le stûpa qui conserveront le corps de Rinpoché.
Des souhaits d’accomplissement de la pratique
En présence de toutes les Éminences et de tous les Rinpochés ici présents, j’ai exprimé ce qui m’a semblé devoir être exprimé en la situation. Peut-être que vous aurez compris correctement, et que vous n’aurez pas fait d’erreur sur ce que j’ai dit. Ce que je voudrais, c’est vous souhaiter l’accomplissement de votre pratique des enseignements du Bouddha.
Étant né, nous devons mourir
Nous devons maintenant prier pour le retour de Rinpoché, pour qu’il soit là de nouveau parmi nous, pour qu’il puisse de nouveau aider de très nombreux êtres. Tous doivent prier, nous, nous devons prier. Toutefois, il faut éviter, comme je l’ai vu assez souvent en Occident, d’avoir une sorte de sentiment de culpabilité, de penser : « si mon maître est mort, c’est parce que j’ai commis telle ou telle faute ou telle erreur ». Ce n’est pas du tout le cas, si votre maître est mort, c’est parce qu’il est né, et étant né il doit mourir. Ce n’est pas votre faute, vous êtes des disciples. Vous avez fait de votre mieux pour pratiquer le Dharma. C’est bien. Il n’y a pas de raison de se sentir coupable d’avoir accompli quelque chose de positif. Mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas prier, cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas se purifier. Nous avons tous encore beaucoup de choses à purifier, donc nous n’avons pas atteint l’état de Bouddha. Prier pour le prompt retour de Rinpoché, c’est mettre justement en œuvre ce qui écarte les forces négatives qui, elles, pourraient faire obstacle à son retour. Prier et dédier les mérites au bien des êtres est aussi établir entre les nombreux êtres et Rinpoché une connexion qui jusqu’à présent n’avait pas été établie. Mais prier ne doit pas être une sorte d’excuse à notre sentiment de culpabilité comme quoi nous aurions fait des fautes dont Rinpoché aurait subi les effets, ce qui doit être totalement écarté. Nous devons prier, de manière sincère, du fond du cœur, et souhaiter tout ce qu’il y a de mieux pour lui en retour.
Un centre du Dharma a pour fonction d’être tourné vers les autres
Les activités des centres du Dharma vont elles aussi continuer. Les lamas continueront d’assurer la responsabilité de ces centres, et vous tous devrez continuer à apporter votre soutien. Toutefois, il ne faut jamais perdre de vue quelle est la vocation d’un centre du Dharma : cette vocation c’est de permettre au plus grand nombre de personnes possible d’étudier et de pratiquer les enseignements du Bouddha. Il faut toujours s’en rappeler, toujours travailler en sens et ne pas investir son propre ego dans le centre du Dharma. Un centre du Dharma a pour fonction d’être tourné vers les autres, donc l’ego n’a pas sa place dans ses activités. Les Éminences ici présentes s’arrêteront de temps en temps visiter les centres du Dharma ; je viendrai moi-même, j’ai été invité dans des centres, mon emploi du temps ne me permet pas pour le moment d’aller partout, mais je fais de mon mieux. Quoi qu’il en soit, nous nous verrons de temps en temps, nous nous rencontrerons et nous prierons pour son retour.
Courte prière de S.E. Taï Sitoupa pour le prompt retour de Khyabdjé Kalou Rinpoché
« OM SOTI
Vous qui êtes né du profond esprit d’éveil des Vainqueurs des trois temps et de leurs fils,
Et qui avez pour nature l’amour et la compassion sans référence,
Vous êtes le Protecteur des êtres et le seigneur du Dharma, glorieux et sublime lama, connu sous le nom de Rangdjoung Kunkhyab.
Veuillez vite revenir, pour guider vos disciples, dans la danse des émanations de vos trois secrets. »
A la requête de Bokar Rinpoché, qui possède la nature des êtres authentiques, ce texte fut transformé par le sublime refuge Sitou Rinpoché afin qu’advienne promptement la renaissance du seigneur des refuges, le sublime Lama Kalou Rinpoché.