Les instructions de Mahamudra
Les instructions de Mahamudra
Extrait de la Collection des huit doha
Tilopa
Tilopa, le fondateur indien de ce qui devait devenir la lignée kagyupa, passa une grande partie de sa vie en nomade, étudiant la méditation auprès de divers maîtres. Finalement, il construisit une hutte en paille sur les rives du Gange et y demeura, méditant en solitaire pendant des années, jusqu’à réaliser mahâmudrâ. Puis, il reprit une vie errante, enseignant à ceux qui se présentaient pour être instruits.
L’un de ses étudiants fut le grand érudit indien Nâropa qui, au sommet de sa carrière académique à la tête de la fameuse université de Nalanda en Inde, ne supporta plus la vanité de ses résultats mondains et son manque de compréhension profonde.
Sacrifiant tous ses gains, Nâropa partit en quête d’un gourou authentique. Il le trouva en la personne de Tilopa auprès de qui il étudia durant douze années, jusqu’à réaliser lui aussi le profond enseignement de mahâmudrâ.
Hommage à la vajra-dâkinî.
Bien que mahâmudrâ ne puisse être montré,
Fortuné Naropa, endurant et intelligent
Dans ton ascèse et ton respect du lama,
Recueille ceci en ton cœur.
« A l’exemple de l’espace en lequel personne sur rien ne prend place,
En mahâmudrâ, il n’est point d’appui.
Sans artifice, en l’état naturel reste détendu .
Ainsi relâchés, les liens, sans aucun doute, se dénouent.
Contemplant le milieu de l’espace, sa vision disparaît ;
Quand l’esprit contemple l’esprit,
Toutes activités mentales cessantes,
L’éveil insurpassable est obtenu.
Les brumes matinales dissipées en la sphère céleste
Ne sont parties ni ne demeurent nulle part ;
De même, toutes les pensées émergeant de l’esprit :
Dans la vision qu’il a de lui-même, comme des vagues disparaissent.
La nature de l’espace au-delà des couleurs et des formes,
Vêtue de blanc ou de noir, demeure immuable.
De même, l’essence de l’esprit au-delà des couleurs et des formes,
Vêtue de blanche vertu ou de sombre vice, demeure inchangée.
La pure et brillante essence du soleil
N’est pas voilée par les ténèbres de mille kalpa ;
De même, la lumineuse essence de notre propre esprit
Ne saurait être obscurcie par des éons de samsâra.
L’espace peut être qualifié de vide,
Bien qu’indescriptible en ce terme ;
De même, notre propre esprit peut être nommé claire lumière,
Bien qu’une telle conception soit sans fondement.
Ainsi, la nature de l’esprit est-elle à jamais semblable à l’espace ;
Et il n’est aucun dharma qui n’y soit inclus.
Sans agir, le corps tranquille naturellement ;
Sans mot dire, la parole comme l’écho de son-vide ;
Sans penser, le mental passe dans le dharma de l’au-delà.
Le corps est sans milieu, comme la tige du roseau ;
L’esprit au-delà des objets pensés, comme le milieu de l’espace.
En cette sphère, détends-toi sans rien chasser ni placer.
L’esprit de non-référence est mahâmudrâ.
Avec l’habitude, il est intégré, et l’insurpassable éveil est obtenu.
Les tenants des tantras, de la prajñâpâramitâ,
Du vinaya, des satras, et des autres doctrines,
Ne verront pas la Claire lumière de mahâmudrâ
Avec leurs textes et leurs philosophies.
Les intentions masquent la vision de la claire lumière.
Les idées de défense et de vœu nuisent à l’ultime samaya.
Dans le non-agir du mental, sans aucun dessein,
Apparition et disparition sont spontanées comme les vagues,
Ne pas quitter le sens du sans demeure, sans référence,
Est garder le samaya ; être flambeau des ténèbres !
Lorsqu’on est libre de toute intention, et ne demeure sur aucune conclusion,
Tous dharma et enseignements sont vus.
Pratiquer en cet état libère de la prison du samsâra,
Méditer en cet état consume toutes négativités et tous voiles,
C’est ce que l’on appelle être le flambeau de l’enseignement.
Les êtres ignorants qui n’aspirent pas à cet état
Ne sont qu’emportés continûment par les flots du samsâra.
Avec compassion pour ces ignorants dans leurs continuelles souffrances,
Celui qui aspire à les libérer de leur insupportable malheur
S’en remet à un lama adroit :
Et son influence spirituelle, pénétrant son cœur, libère son esprit.
Eh, merveille !
Ces dharma du samsâra sont vains et causes de souffrance ;
Artificiels et sans substance. Aussi, sache t’en remettre à l’authentique essence.
Souveraine est la vue au-delà de toutes fixations dualistes,
Souveraine est la méditation en l’état de non-distraction,
Souveraine est l’action du non-agir,
Le résultat est actuel lorsqu’il n’est plus aucune attente ni crainte.
Au-delà de tout point de repère est la nature lucide de l’esprit ;
La voie du Bouddha se découvre en l’absence de cheminement.
Quand il n’est plus rien à méditer, l’insurpassable éveil est obtenu.
Eh, merveille ! Comprends bien les phénomènes du samsâra :
Comme le rêve et l’illusion, ils ne sauraient être permanents.
Comme eux, ils n’ont d’existence authentique ;
Aussi, développe le renoncement et laisse tomber l’activité du samsâra.
Coupe toutes les relations passionnelles à ses objets,
Et, solitaire, médite dans l’isolement des forêts et des montagnes.
Demeure en l’état de non-méditation.
Trouver l’introuvable est trouver mahâmudrâ.
Coupe à la base un arbre luxuriant : ses myriades de branches se dessèchent ;
De même, coupe la racine de l’esprit, et le feuillage du samsâra flétrit.
Même si l’obscurité a persisté mille éons,
Un seul flambeau dissipe ses ténèbres amassées ;
De même, instantanément, la claire lumière de l’esprit
Dissipe les voiles et la négativité de l’ignorance, pendant des kalpa accumulés.
Eh merveille !
Le dharma intellectuel ne peut voir le sens du non-mental,
Le dharma de l’action ne peut réaliser le sens du non-agir.
Si tu souhaites trouver le sens du non-mental et du non-agir,
Coupe la racine de ton esprit, laisse la connaissance dans sa nudité,
Laisse se décanter l’eau trouble des pensées ;
Laisse tel quel, ce qui apparaît, sans arrêter ni produire.
En l’absence de saisie et de rejet, toute apparence est mahâmudrâ.
La base universelle non produite est libre de tendances et de voiles.
Demeure en son essence incréée, sans calcul ni intention.
Laisse s’épuiser les phénomènes du mental, les projections sujet-objets.
Parfaitement libre de tout terme est la vue royale et sublime.
Profonde et sans limite est la méditation souveraine et suprême.
Sans opinion ni parti est l’action royale et sublime.
Sans espoir, ici-même, est le fruit suprême.
Au début, l’activité de l’esprit ressemble à une cascade tumultueuse,
Ensuite, elle coule, mouvante comme les flots du Gange,
Finalement, son eau est comme le fils rencontrant la mère.
Les personnes dont l’intelligence est moins vive,
Qui ne sauraient rester en cet état, pratiqueront avec le souffle, raffinant l’esprit ;
Et, par divers regards et pratiques d’attention,
Le disciplineront jusqu’à savoir y demeurer.
Celui qui s’en remet au karma-mudrâ (1),
Fait s’élèver la connaissance primordiale de la félicité-vide.
Entre en l’union qu’inspirent upâya et prajñâ,
Doucement fait descendre, garde, renverse,
Fait remonter, dirige vers les centres, et diffuse dans tout le corps.
S’il n’a d’attachement, s’élèvera la connaissance primordiale de la félicité-vide ;
Dans une longue vie sans cheveux blancs, il croîtra comme la lune ;
Avec un teint radieux, éclatant, et la force du lion,
Il obtiendra vite les accomplissements ordinaires et se consacrera au suprême. »
Que cette instruction essentielle de mahâmudrâ
Demeure en le cœur des êtres fortunés.
Ce doha est la parole du glorieux grand Tilopa qui réalisa spontanément mahâmudrâ. Il fut énoncé au bord du Gange à Nâropa, l’érudit et accompli du Cachemire, à l’issue de ses douze épreuves.
Ces « Vingt-huit stances adamantines de mahâmudrâ » ont été transmises de la bouche du grand Nâropa par le roi des traducteurs tibétains : Marpa Tcheuky Lodreu. Au lieu septentrional de Poulahari, il en fit la traduction, celle-ci fut vérifiée et corrigée : elle est définitivement fiable.
Note :
(1) Se réfère à un type de partenaire dans certaines pratiques du tantra.
Traduction par le comité Lotsawa (novembre 1989), à partir de l’édition originale de Rumtèk. (folios 17a5 à 21a1)