L’esprit et ses transformations

2.2 Vies, morts et renaissances

2.2.13. De l’urgence de la pratique

«Vous, jeunes hommes et jeunes femmes ici présents,
Ne pensez pas que la mort viendra à vous à petits pas.
Elle arrive avec la rapidité de l’éclair !.»
Milarepa, Cent mille Chants.

Une méditation sur la mort : d’une façon générale, tout ce qui est composé est impermanent ; aussi, notre corps, résultant de l’assemblage de divers éléments – du bon et du mauvais karma, de la semence paternelle et de l’ovule de la mère, des éléments et du principe conscient – l’est évidemment.

Tous les êtres de l’univers sont mortels ; ceux du passé sont morts, ceux du présent vont mourir et ceux de l’avenir mourront aussi.

Nous-mêmes, d’année en année, de jour en jour, d’heure en heure, de minute en minute, nous nous rapprochons de l’instant de notre mort. Si braves et forts que nous soyons, nous ne la dissuaderons pas. Si rapide soit notre course, elle ne nous délivrera pas. Si vaste soit notre érudition, si adroites soient nos paroles, si grande soit notre éloquence, elles n’y changeront rien. Ni l’héroïsme d’une armée, ni l’influence de gens puissants, ni une arme perfectionnée, ni les ruses de gens adroits ne sauraient arrêter la mort de même que rien ne peut arrêter le soleil lorsqu’il décline et disparaît derrière les montagnes.

Personne ne sait combien de temps il vivra. Certains meurent dans le ventre de leur mère, d’autres à la naissance, ou avant de tenir sur leurs jambes, certains dans leur jeunesse, d’autres dans leur vieillesse.

Incertain aussi est ce qui produira notre mort, et nul ne sait ce qui l’emportera : ce pourra être le feu, l’eau, le vent, la foudre, une ­chute dans un précipice, un éboulement, l’effondrement d’une maison, une arme, un poison, une attaque soudaine, une maladie… Cette vie est aussi fragile que la flamme d’une bougie dans le vent, une bulle d’air dans l’eau, ou une goutte de rosée sur un brin d’herbe.

Quand la mort vient à nous alors que nous ne l’avons pas souhaitée, nous devons, sans en avoir le moindre désir, tout abandonner : terre, maison, richesses, parents, enfants, famille et conjoint… laissant même notre propre corps, nous nous en allons seuls, sans liberté et sans ami, en ce lieu d’effroi qu’est le bardo. Ce sera notre lot à tous, un peu plus tôt ou un peu plus tard. Aussi, que nous voyions quelqu’un mourir, que nous entendions parler de la mort ou que nous y pensions, il nous faut garder présent à l’esprit que nous la rencontrerons nous aussi. Tant que nous avons toutes nos forces et un teint radieux, tant que nous sommes heureux, nous n’y pensons pas ; mais qu’une maladie fatale s’abatte sur nous et nous perdons toute force, notre éclat se fane, nous prenons l’aspect livide d’un cadavre et sommes malheureux. Puis, lorsque tous les médicaments, tous les soins et tous les rites se seront révélés inefficaces, quand plus rien ne pourra apaiser les tourments de la maladie, alors, nous saurons que nous allons mourir. Nous en serons effrayés et en souffrirons grandement, désespérés de devoir partir seuls, laissant tout derrière nous.

C’est au moment de murmurer nos dernières paroles que nous réalisons enfin que nous non plus n’échappons pas à cette nature mortelle.

Après notre mort, même ceux qui nous aimaient beaucoup, ne voudraient pas voir ce cadavre rester parmi eux plus d’un jour ou deux : sa vue leur inspire dégoût et crainte. Emmené par les croque-morts et franchissant le seuil de la maison une dernière fois, notre corps est conduit au cimetière où il sera brûlé ou enterré ; nul ne nous reverra jamais plus.

Lorsque, dans notre vie quotidienne, nous voyons un mort, entendons parler de la mort, ou y pensons, quelle que soit la façon dont nous pouvons y être exposés, il nous faut appliquer cette perception de la mort à nous-mêmes, nous disant que telle est aussi notre nature.

Notre vie est comme un sablier qui ne s’arrête jamais… Chaque instant suit l’autre sans répit. D’instant en instant, la vie s’épuise : nous sommes bébés, puis adultes, puis vieux et morts. Notre vie est comme une bulle d’eau ou une chandelle, l’impermanence et la mort sont comme le vent !

Prenant conscience que cela arrivera à chacun de nous, ne devrions-nous pas dès maintenant nous appliquer à pratiquer le dharma ?

Ce précieux corps humain que nous avons maintenant sait communiquer, peut comprendre les enseignements, est doté de toutes les facultés, et a rencontré le dharma. Si nous le gaspillons, non seulement nous aurons à endurer encore longtemps la souffrance régnant dans le samsâra, mais nous n’aurons plus ultérieurement la possibilité d’en retrouver un semblable. C’est pourquoi il nous faut prendre la ferme résolution de bien l’utiliser, en pratiquant le dharma avec énergie pendant le temps qu’il nous reste en cette vie, bref instant lumineux semblable à celui pendant lequel le soleil perce à travers les nuages.

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