La voie de la libération

3.2. Le hînayâna, voie de la discipline

3.2.3. Le karma et la discipline extérieure

«Les actes positifs donnent le bonheur,
Les actes négatifs, le malheur ;
Ainsi, les actions vertueuses, les actions non-vertueuses
Et leurs conséquences sont clairement exposées.»
Drenpa Nyerchungwa (Dran pa nyer chung ba).

Nous pénétrons les fondements du dharma du Bouddha en acquérant la certitude de l’inéluctable interdépendance des causes et des conséquences de nos activités : ce que l’on appelle le « karma ».

Nous avons évoqué précédemment le fonctionnement général du karma1Voir supra Les karmas et la liberté. , et comment les six classes d’êtres vivants des trois ­mondes, avec leurs variétés de joies et de peines, sont des appa­rences illu­soires manifestées par son pouvoir2Voir supra Les six mondes..

Le karma peut être négatif, positif ou d’immobilité.
Le karma négatif peut être résumé à l’accomplissement des dix actes négatifs ; à l’inverse, le karma positif peut se ramener à l’accomplissement des dix actes positifs. Quant au karma d’immobilité, il est généré par certaines pratiques de méditation3Voir infra Le karma de la méditation..

Le karma, c’est-à-dire ici les conséquences de chacun de nos actes, sous-tend toute la discipline du dharma. Cette discipline enseigne les méfaits des comportements et des attitudes malsaines qui créent un karma négatif et, à l’inverse, les bienfaits des activités justes induisant un karma positif. La discipline du dharma consiste alors, dans la perspective du karma, à abandonner autant qu’on le peut les actes négatifs et à cultiver les actes positifs.

Le karma négatif

L’activité négative, le karma négatif, est constituée par les actes et leurs conséquences qui sont nuisibles pour autrui et pour nous-mêmes.

Ce sont les attitudes du corps, de la parole et de l’esprit induites par les tendances égotiques et leurs comportements passionnels tels que le désir, la colère, l’orgueil, etc. Ces activités stimulent et renforcent à leur tour les tendances égotiques et passionnelles, contribuant ainsi à la perpétuation du samsâra et des illusions qui le perpétuent. En résumé, le karma négatif est engendré par dix actes négatifs : trois du corps, quatre de la parole et trois de l’esprit.

  1. Les trois actes négatifs du corps

• Tuer
C’est prendre la vie : par désir ou par attachement, pour des richesses, de la viande, des os, du musc ; afin de protéger soi-même ou ses proches ; par haine, en tuant des adversaires ou des rivaux ; ou enfin par stupidité, en faisant par exemple l’offrande d’une vie et considérant cet acte comme vertueux.

Les différents types de conséquences des actes

Les différents actes négatifs ou positifs ont quatre principaux types de conséquences appelées : conséquence « dominante » ou « à pleine maturité » ; conséquence « conforme à l’acte initial » fait par l’auteur de l’acte ; conséquence « conforme à l’expérience initiale » subie par la victime ; et conséquence « conditionnant l’environnement ».

L’arbre négatif

La discipline fondée sur le karma n’est pas une morale demandant de se conformer à des commandements religieux ou à un code social. Sa perspective serait plutôt médicale, ses prescriptions étant celles de règles de santé permettant d’éviter les maladies que sont les illusions, les passions et leurs manifestations douloureuses. L’arbre négatif illustre le fonctionnement du karma négatif : ses racines sont l’ignorance et les illusions de l’esprit, son tronc est l’attitude égotique, ses branches sont les passions, et ses fruits sont les existences douloureuses qu’elles induisent.
(D’après un dessin original et les explications de Kyabjé Kalu Rinpoché)

– La conséquence dominante est le premier résultat de l’acte et le plus fort ; il consiste en une naissance dans un état correspondant à la nature de l’acte. Ainsi, le résultat dominant de l’acte de tuer est une naissance dans un état infernal.

Lorsque cette première conséquence dominante s’est épuisée, ce karma aura encore, dans une naissance ultérieure qui pourrait être humaine, des conséquences conformes à l’acte initial et à l’expérience initiale.
– La conséquence conforme à l’acte initial consiste en une prédisposition à reproduire des actes similaires à l’acte initial. Pour reprendre l’exemple de tuer, ce serait une propension à y prendre plaisir.
– La conséquence conforme à l’expérience initialement subie consiste en une tendance qui conduit à subir des situations dans lesquelles nous sommes à notre tour assujettis à ce qui fut éprouvé par notre ancienne victime ; c’est-à-dire que nous avons une propension à devenir nous-mêmes l’objet d’actes similaires perpétrés par autrui.

Dans le cas de tuer ce serait une prédisposition à avoir une vie courte affligée de nombreuses maladies et, durant de nombreuses existences, à se voir dérober sa propre vie.
– La conséquence environnementale conditionne l’environnement extérieur dans lequel la naissance est prise. Ainsi, tuer crée un monde extérieur fait de précipices et d’abîmes dangereux pour la vie. 

• Voler
C’est s’approprier ce qui n’est pas donné. On peut le faire ouvertement, usant de la force ou du pouvoir ; à la dérobée, sans être vu ni connu ; ou en­­core par tromperie ou escroquerie, fraudant par exemple sur les poids et mesures.

Les conséquences de ces actes sont, pour la conséquence domi­nante, la naissance comme esprit avide ; pour la conséquence conforme à l’acte initial, une propension et un plaisir à voler ; pour la conséquence conforme à l’expérience initialement subie, se faire voler, être pauvre et nécessiteux ; pour la conséquence conditionnant l’environnement, la naissance en un lieu aux intempéries destructrices.

• Se méconduire sexuellement
Cela consiste à transgresser des interdits familiaux, à manquer à ses engagements, ou à enfreindre des prescriptions du dharma. Pour ces dernières, ce serait avoir des relations sexuelles à proximité d’un édifice sacré ou de quelqu’un qui a des vœux de chasteté, quand on a pris soi-même des vœux temporaires de chasteté, ou encore quand la femme est enceinte, ou encore de nombreuses fois successives.

Les différentes conséquences de ces actes sont respectivement : une naissance comme esprit avide ; puis, si l’on reprend nais­sance humaine, d’avoir une compagne déplaisante, semblable à une ennemie, d’en être mécontent et être toujours attiré par d’autres femmes. Enfin la dernière est d’être dans un environnement sale et poussiéreux.

2. Les quatre actes négatifs de la parole

• Mentir
On peut mentir au sujet de sa réalisation spirituelle, pour faire du tort à autrui, ou de façon banale.

Les différents types de conséquences en sont : une naissance animale ; puis, si l’on reprend naissance humaine, le goût de mentir, de tenir souvent pour vrai ce qui est erroné, et d’être dans un environnement où relief et températures sont exagérés.

• Semer la discorde
On peut le faire ouvertement, en présence de deux amis que l’on souhaiterait voir se séparer, de façon indirecte ou insidieuse, ou encore en cachette de l’une des parties.
Les résultats d’un tel acte sont : une naissance dans un état infer­nal ; puis, si l’on reprend naissance humaine, aimer créer la discorde, être séparé de ses amis, et un environnement chaotique.

• Parler agressivement
Les paroles agressives heurtent et blessent autrui. Elles peuvent être jetées à la face d’un interlocuteur, mêlées à des plaisanteries, ou même consister à mentionner directement leurs défauts à des amis.

Les différents résultats de cet acte sont : tout d’abord une naissance infernale ; prendre plaisir à l’emploi de paroles viles ; entendre à notre égard des paroles ou des rumeurs déplaisantes, et un environnement brûlant, aride et épineux.

• Parler futilement
C’est bavarder, beaucoup parler sans raison ou encore expliquer le dharma à ceux qui ne le respectent pas.

Il en résulte une naissance animale et, en cas de renaissance humaine, la propension à s’exprimer dans un langage vulgaire, à dire des paroles qui déplaisent à tous, et être dans un environnement climatique déréglé.

3. Les trois actes négatifs de l’esprit

• Convoiter
La convoitise peut prendre la forme d’un grand attachement à ce qui est déjà nôtre, famille, corps ou possessions, ou consister à désirer s’approprier les biens d’autrui ; c’est aussi le désir de posséder en propre des choses qui n’appartiennent à personne en particulier.

Les conséquences en sont : une naissance comme esprit avide ; puis, dans le cas d’une naissance humaine, être soumis à de nombreux attachements et ne pouvoir réaliser ses souhaits, et être dans un environnement peu fertile.

• Vouloir du mal
La malveillance est le désir de nuire, qui peut naître de la colère, de la haine, de la jalousie ou de la rancune.

Ses résultats sont : une naissance infernale ou, si l’on reprend naissance humaine, être de nature coléreuse, se voir sans raison traité en ennemi par tous, et un environnement inhospitalier où la vie est difficile.

• Comprendre de façon erronée
Les vues erronées sont de mauvaises conceptions qui tiennent pour fausses la loi du karma ou les explications du dharma faites du point du vue de la réalité relative ou de la réalité ultime ; elles peuvent aussi se rapporter aux qualités des Trois joyaux.

Il en résulte une naissance animale ou, si l’on reprend existence humaine, n’avoir de penchant pour aucune étude, être sot et incapable de comprendre quoi que ce soit, et vivre dans un environnement où rien ne fructifie.

Les dix actes particulièrement négatifs

Parmi les dix actes négatifs, il est particulièrement grave :
– de tuer son père, sa mère ou son maître spirituel ;
– de voler les biens des Trois joyaux ;
– d’avoir des relations sexuelles avec quelqu’un lié par des vœux qui l’en gardent ;
– de calomnier un bouddha ou de tromper son lama par des mensonges ;
– de semer la discorde entre les membres du sangha ou entre compagnons d’étude du dharma ;
– de dire des paroles agressives à ses parents ou à un être spirituellement supérieur ;
– de distraire par un bavardage futile ceux qui voudraient pratiquer le dharma ;
– de convoiter les biens destinés aux Trois joyaux ;
– d’être d’une malveillance telle que l’on soit prêt à commettre l’un des cinq actes aux conséquences immédiates qui sont : tuer son père, sa mère ou un arhat, créer un schisme dans le sangha et faire couler le sang d’un tathâgata ;
– d’avoir des vues sectaires engendrant querelles et conflits.

Le karma positif

À l’inverse du karma négatif, le karma positif ou les actes béné­fiques procèdent du dépassement des attitudes de l’ego, et sont fondés sur des sentiments tels que l’amour, la compassion, la bienveillance, etc. Ils vont vers l’éveil et la réalisation de l’état de bouddha.

Les dix actes positifs sont l’inverse des activités négatives.

     1. Les trois actes positifs du corps

•Renoncer à tuer, protéger la vie, a pour conséquence domi­nante une naissance dans un état divin ou humain. La conséquence conforme à l’acte initial est une répugnance à tuer et une inclination à protéger la vie ; la conséquence conforme à l’expérience initialement subie est une vie longue, sans maladie, heureuse et dotée de nombreuses richesses ; la conséquence sur l’environnement est un lieu plaisant.

•Renoncer à voler, être généreux, a pour résultats, suivant les conséquences envisagées respectivement : la richesse et la puis­sance, devenir souverain ou homme influent et, dans une naissance humaine ordinaire, aimer pratiquer la générosité, avoir de merveilleuses richesses et un environnement luxuriant.

•Abandonner la méconduite sexuelle, avoir une conduite sexuelle juste, a pour résultats une naissance divine et, dans une naissance humaine, des amis beaux et gracieux avec lesquels l’entente est bonne, d’en être toujours satisfait, et avoir un environnement agréable.

    2. Les quatre actes positifs de la parole

•Abandonner le mensonge, dire la vérité, a pour résultats une nais­­sance divine ou humaine, aimer parler avec franchise ; voir ses paroles tenues pour vraies par tous et être dans un environnement harmonieux.

•Renoncer à semer la discorde, favoriser la concorde, a pour conséquences une naissance divine ou humaine, de toujours apprécier l’harmonie, que tout le monde considère ses paroles comme vraies et agréables et d’être dans un environnement opulent où les intempéries sont rares.

•Abandonner l’emploi des paroles agressives, parler avec douceur, a pour conséquences une naissance humaine ou divine, entendre sur soi des propos agréables, avoir un entourage de personnes élogieuses à son égard et un environnement au climat doux et tempéré.

•Abandonner le bavardage et parler à bon escient a pour conséquences une naissance divine ou humaine, aimer parler peu, prononcer des paroles suscitant l’estime et plaisant à autrui, et un environnement agréable, au relief et à la température modérés.

    3. Les trois actes positifs de l’esprit

• Abandonner la convoitise, avoir du contentement et savoir être satisfait de ce que l’on possède, a pour conséquences : une naissance divine ou humaine, la satisfaction de ce que l’on a, le bonheur de réaliser ses souhaits, et un environnement agréable.

• Abandonner le désir de nuire, vouloir du bien ou être bienveillant, a pour conséquences une naissance divine ou humaine, être bon envers tous les êtres, traité par tous avec gentillesse, voir tous ses désirs se réaliser, et un environnement propice à la réalisation de ses souhaits.

• Abandonner les vues erronées, comprendre justement, a pour conséquences l’obtention d’une naissance divine ou humaine, le plaisir à étudier avec énergie, être estimé pour son intelligence et sa grande sagesse, et un environnement fertile aux fruits savoureux.

Mieux nous comprendrons la nature de l’esprit, plus nous pénétrerons profondément l’enchaînement inéluctable des causes et des effets qu’est le karma. Cette compréhension est la base de la pratique des enseignements du Bouddha ; elle permet, d’une part, d’éviter ou de réduire les actes négatifs qui nuisent à autrui et à nous-mêmes ainsi que les souffrances qu’ils causent et, d’autre part, de cultiver et d’amplifier les actes positifs dont les résultats sont bienfaisants et heureux. Dans une telle pratique, le karma ­négatif diminue et le karma positif augmente ; ainsi se déve­loppent bienfaits puis intelligence immédiate, et nous progressons jusqu’à atteindre finalement l’état de bouddha.

L’arbre positif

L’arbre qui accomplit tous les souhaits
Prend racine dans une disposition d’esprit détachée du samsâra,
Qui n’aspire qu’à s’en délivrer.
Confiance et compassion forment son tronc.
L’abandon du nuisible et la pratique du bénéfique sont ses branches,
Toutes les vertus, ses feuilles,
Ses fleurs sont la réalisation des qualités essentielles de la méditation.
D’elles, naît son fruit : le parfait état de bouddha.
(Kyabjé Kalu Rinpoché)

Les cailloux blancs et noirs

Il était une fois un homme appelé Drakhen ; confiant en le dharma, il souhaitait changer son comportement et pratiquer. Il demanda conseil à son lama, qui lui dit d’être très attentif à ce qu’il faisait : lorsqu’il observait une attitude négative, il devait l’abandonner et mettre sur un tas un petit caillou noir et il devait, à l’inverse, lorsqu’il constatait une attitude positive, la cultiver et mettre sur un autre tas un petit caillou blanc.

Au début, il y eut un gros tas de cailloux noirs et très peu de cailloux blancs. Puis, au fur et à mesure qu’il persévérait dans son attention à abandonner les attitudes négatives et à cultiver les attitudes positives, les deux tas devinrent égaux. Et, finalement, il n’y eut pratiquement plus que des cailloux blancs.

Ce sont l’attention et la vigilance ouverte qui nous permettent de changer nos comportements.

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