La voie de la libération

3.3. Le mahâyâna, voie de l’ouverture et de la compassion – Du hînayâna au mahâyâna

3.3.7. Les étapes de la réalisation

«Celui qui se tourne vers l’éveil et pratique diligemment les différentes disciplines, parcourt progressivement les degrés de bodhisattva condui­sant à l’éveil.»
Gampopa, Le Joyau de la libération.

Les cinq voies

Les étapes du cheminement spirituel sont résumées dans ce qu’on appelle les « cinq voies de la réalisation ».

La pratique du dharma commence avec la prise de refuge en les Trois joyaux et par une pratique en accord avec la causalité du karma, en évitant les actes nuisibles et en cultivant les positifs. Sur ces bases, nous cultivons progressivement compassion, méditation, dévotion, pratique de la déité, etc. Mettant nos énergies dans la pratique des six perfections, nous nous en pénétrons progressivement, à un degré inférieur, moyen ou supérieur, et nous accomplissons le développement de bienfaits qui nous établit dans les trois degrés : inférieur, moyen et supérieur, de la voie du développement.

Ensuite, toutes les qualités positives continuant de s’amplifier, se développent principalement la perfection de compréhension et l’intelligence immédiate. Nous entrons alors dans la voie de la jonction dont le nom rappelle qu’elle constitue une étape intermédiaire reliant à la suivante : l’expérience directe de la nature essentielle de l’esprit. Cette voie de la jonction comporte aussi trois degrés : ­inférieur, moyen et supérieur, qui sont franchis en fonction de l’ampleur du développement d’intelligence immédiate accompli.

Lorsque, dans une expérience directe, nous voyons vraiment la vacuité, la nature essentielle de l’esprit, nous sommes au seuil de la voie de la vision. L’état fondamental de l’esprit est alors vraiment reconnu, comme un vieil ami. C’est alors l’obtention du premier degré de bodhisattva, appelé « sublime joie ». C’est la première réalisation effective de la nature de l’esprit qui conduit à la première terre de bodhisattva, coïncidant avec le développement de qualités extraordinaires, telles que la capacité de produire simultanément cent émanations. Le bodhisattva de la première terre possède ainsi douze séries de qualités centuples. La voie de la vision comporte également trois niveaux : inférieur, moyen et supérieur, en fonction de l’ampleur de cette reconnaissance. Lorsque la nature de vacuité, de clarté et d’infinité de l’esprit est pleinement et définitivement reconnue, dans une expérience immédiate qui ne laisse aucune place pour le moindre doute ou la moindre hésitation, c’est le niveau supérieur de la voie de la vision.

Ensuite, vient la voie de l’accoutumance : en parachevant les deux développements de bienfaits et d’intelligence immédiate, l’esprit s’habitue à l’expérience de la vacuité, il la stabilise. C’est alors l’accession graduelle aux divers degrés de bodhisattva : tout d’abord aux sept degrés relativement impurs, puis aux trois degrés purs. Cette progression jusqu’au dixième degré, nommé « nuées de dharma », est la voie de l’accoutumance.

Finalement, la voie de la non-étude est atteinte quand l’antidote ultime qu’est l’« état d’absorption adamantin » maîtrise les dernières et très subtiles illusions constituant le voile subtil qui recouvre ce qui est à connaître. C’est ainsi la libération ou « purification » – « sang » en tibétain – de tout ce qui était à abandonner, et, pleinement « épanoui » – « gyé » en tibétain – en la connaissance primordiale, le fruit : l’« état de bouddha » – « sang-gyé » en tibétain – est obtenu.

Ces étapes sont fondamentalement les mêmes, que ce soit dans l’approche hînayâna, mahâyâna, ou vajrayâna. Les trois yânas ­varient dans leurs méthodes mais pas dans leurs objectifs : ce sont des véhicules différents pour effectuer un même cheminement, traverser les mêmes étapes et arriver à la même destination.

Le défi de Naro Bönchung à Milarepa

Milarepa se rendit une fois auprès d’un très grand lac où habitait un maître bönpo du nom de Naro Bönchung. Ils se rencontrèrent et le bönpo lança ce défi à Milarepa :
« Faisons un concours pour voir qui a les plus grands pouvoirs ; le perdant se convertira, avec tous ses disciples, à la tradition de l’autre. »

Milarepa accepta. Le lac au bord duquel ils se trouvaient était tellement vaste qu’il fallait plusieurs jours pour en faire le tour. Le bönpo commença le concours en manifestant un corps extrêmement grand : il mettait un pied sur une rive et l’autre de l’autre côté. Milarepa dit :
« Ce sont là tes pouvoirs ? À mon tour, maintenant. »

Alors il s’assit sur le lac, mais, chose extraordinaire, alors que le lac ne s’était pas réduit, pas plus que le corps de Milarepa n’avait grandi, il couvrait pourtant tout le lac, exactement comme un couvercle sur un récipient. Il est difficile d’imaginer, si le lac ne rétrécit pas et si le corps ne s’agrandit pas, comment les deux peuvent arriver à la même taille… C’est pourtant ce qui s’est passé, et cela est expliqué dans la biographie de Milarepa. 

Le bönpo dit :
« Tu as gagné la première manche mais je demande une revanche… Il y a, tout là-bas, une montagne : nous verrons lequel s’en approche le plus en tendant simplement le bras. »
Le bönpo tendit le bras et arriva à peu près à mi-distance, ce qui était ­énorme ; mais Milarepa bougea à peine le bras et immédiatement l’em­preinte de sa main s’imprima dans la falaise de la montagne ! Le bönpo dit :
« Aujourd’hui tu as gagné, mais nous reprendrons demain. Vois ce sommet tout là-bas, le premier arrivé aura gagné ! »

Sur ces paroles, Milarepa alla se coucher tandis que le bönpo profitait de la nuit pour commencer à grimper ; chevauchant comme un cheval son tambour, il tapait dessus, ce qui le faisait avancer. À l’aube naissante, le bönpo était presque arrivé au sommet de la montagne ; les disciples de Milarepa, Rechungpa et quelques autres qui étaient là, le réveillèrent promptement, et lui dirent :
« Maître, Naro Bönchung est presque arrivé au sommet ! »

Milarepa sourit :
« Rien ne presse, il n’est pas encore arrivé, n’est-ce pas ? »
À ce moment, la montagne s’inclina et posa sa cime juste devant Milarepa… qui se leva pour s’asseoir dessus, et hop ! la montagne se redressa… Grande fut la déconvenue du bönpo :
« Je crois que j’ai perdu. Tu as gagné dans tous les concours mais, s’il te plaît, laisse-moi retourner tranquille chez moi. »
Milarepa accepta.

Ce bönpo avait bien des accomplissements ordinaires, mais Milarepa détenait l’accomplissement suprême, c’est-à-dire la complète réalisation de la nature de l’esprit.
Lorsque des choses dépassent notre compréhension, nous avons ten­dance à penser que ce sont simplement des histoires. Mais pourtant, de même que la nature des phénomènes échappe à notre connaissance, il est possible que des événements échappent à notre entendement !

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