La voie de la libération

3.3. Le mahâyâna, voie de l’ouverture et de la compassion – Du hînayâna au mahâyâna

3.3.8. L’éveil et les trois corps du bouddha

«La bouddhéité n’est pas existante puisqu’elle a pour caractéristique l’inexistence de l’individu et des choses ; elle n’est pas non plus inexistante puisqu’elle existe en tant qu’ainsité.»
Asanga, Mahâyânasûtrâlankâra.

Au début de leur cheminement spirituel, les futurs bouddhas commencent par engendrer bodhicitta, l’esprit d’éveil. Puis, durant trois cycles cosmiques incommensurables, ils pratiquent le « développement-dévoilement », cultivant les deux développements, purifiant les voiles qui obscurcissent l’esprit et accomplissant par les différentes perfections une infinité d’actes de bodhisattva. En conduisant ces actes jusqu’à leur stade de perfection transcendante, ils traversent les cinq voies de la réalisation et les dix degrés de bodhisattva1Les dix degrés de bodhisattva ne sont pas expliqués ici ; leur classification recoupe celle des cinq voies, donnée au chapitre précédent.. Ainsi deviennent-ils des bouddhas parfaitement accomplis.

L’éveil des bouddhas

L’éveil des bouddhas a trois aspects :
– Ils sont par nature totalement exempts des différents voiles qui obscurcissent l’esprit : libres des voiles de l’ignorance, de la propension fondamentale, des passions et du karma2Voir supra Les voiles de l’esprit.. Cela est nommé la « grande cessation ».
– Leur intelligence immédiate voit directement, clairement et sans confusion tout phénomène. Cela est nommé la « grande réalisation ».
– Enfin, par une compassion au-delà de tout concept, ils œuvrent spontanément, toujours et partout, pour le bien de tous les êtres. Cela est nommé leur « grand esprit courageux ».

Les qualités de l’esprit, de la parole et du corps des bouddhas

L’esprit des bouddhas est doté de qualités incomparables : il n’y a aucun objet de connaissance du samsâra, du nirvâna, ou du chemin qui mène du premier au second, qu’ils ne connaissent immédiatement ou ne voient directement dans leur intelligence primordiale. Ils perçoivent tout comme posé dans la paume de leur main et connaissent véritablement, distinctement et sans confusion, tous les karmas passés, présents et futurs, leurs causes et leurs conséquences. Cette intelligence directe et immédiate est claire et dénuée de tout voile. Elle est nommée l’« omniscience de leur intelligence primordiale ».

Les bouddhas ont un amour immense, sans discrimination, qui pose continuellement son regard sur tous les vivants et les prend en charge avec compassion, quels qu’ils soient et où qu’ils soient, sans aucune partialité ni aucun attachement. Cela est nommé leur « amour compatissant ».

L’activité éveillée des bouddhas se déploie, sans fin et sans interruption, utilisant pour aider les vivants les moyens appropriés à chacun et œuvrant pour leur bien, qu’ils aient une attitude positive ou négative à leur égard. Ainsi, au travers d’aspects variés, cette activité ouvre, de manière temporelle, la porte des trois classes d’êtres supérieurs, et, finalement, celle de la délivrance. Elle se manifeste perpétuellement tant que le samsâra n’est pas vidé de tous les êtres, et elle est nommée leur « activité éveillée qui œuvre ».

Par le pouvoir de l’influence spirituelle de cette activité éveillée, la confiance, la dévotion, l’amour bienveillant et la compassion s’accroissent dans l’esprit des êtres, qui reconnaissent finalement la vacuité de tout phénomène, objet ou sujet. Ils réalisent alors le caractère illusoire de toute chose, et la saisie d’une existence intrinsèque cesse. S’appliquant à laisser l’esprit tranquille en shamatha et à reconnaître sa vraie nature dans vipashyanâ3Voir Shamatha-Vipashyanâ., ils traversent, au moyen des six et des dix perfections4Les dix perfections sont les six mentionnées dans le chapitre Les six vertus parfaites, auxquelles s’ajoutent celles de la méthode, des souhaits, de la force et de l’intelligence primordiale. Ces dernières ne sont pas expliquées dans cet ouvrage., les dix degrés de bodhisattva et les cinq voies de la réalisation, atteignant ainsi l’état de bouddha. Ce pouvoir des bouddhas, au travers de leur activité éveillée, de donner refuge aux êtres confrontés à la souffrance du cycle des existences et de les établir en l’état de bouddha, est appelé leur « pouvoir de refuge ».

Outre ces qualités, le corps des bouddhas possède les trente-deux marques majeures et les quatre-vingts signes mineurs d’accomplissement. Leur parole possède soixante qualités caractéristiques ; leur esprit comprend les « dix forces », les « quatre absences de peur », « les dix-huit qualités spécifiques » ; globalement, ils ont dix millions de qualités, qui proviennent de la liberté de leur esprit vis-à-vis de tout voile et de toute saisie conceptuelle, ainsi que du mûrissement de leur karma positif.

Les Trois corps des bouddhas5Pour les Trois corps en l’esprit, voir infra Mahâmudrâ.

À l’obtention de l’état de bouddha, l’éveil se produit sur trois plans ou en trois dimensions, auxquels on se réfère comme étant les « Trois corps » du bouddha. Ce sont : le corps absolu ou dharma­kâya, le corps d’expérience parfaite ou sambhogakâya, et le corps d’émanation ou nirmanakâya.

Il y a correspondance entre ces trois plans éveillés et les trois plans de l’existence ordinaire : l’esprit, la parole et le corps. L’esprit éveillé est le dharmakâya, la parole purifiée est le sambhogakâya et le corps pur, le nirmanakâya.

D’un autre point de vue, les trois aspects de la nature pure de l’esprit dont nous avons parlé précédemment, vacuité-ouverture, clarté et capacité illimitée, correspondent aussi à ces Trois corps du bouddha : l’aspect vide de l’esprit au dharmakâya, l’aspect de clarté au sambhogakâya et l’aspect de capacité illimitée au nirmanakâya.

D’autre part, il y a aussi correspondance entre les cinq principales passions qui gouvernent l’esprit habituel (l’agressivité, l’orgueil, le désir, la jalousie et la stupidité) et, au niveau d’un bouddha, les cinq expressions de l’expérience éveillée, « cinq intelligences primor­diales » qui sont l’aspect complètement transmuté de ces cinq passions. Elles sont respectivement nommées : « semblable au miroir », de l’« équanimité », du « discernement », « tout accomplissante », et du « domaine de la vacuité ».

Le double développement, de bienfaits et d’intelligence immé­diate, engendré par un bodhisattva pratiquant les six vertus parfaites, résulte en les Trois corps d’un bouddha. Le dharmakâya est sans forme et plus spécifiquement issu du développement d’intelligence immédiate. Le sambhogakâya et le nirmânakâya sont deux corps avec forme, provenant plus particulièrement du développement de bienfaits. Ces deux derniers émanent conjointement de l’exercice des potentialités du dharmakâya et des souhaits formulés antérieurement par les bouddhas.

Le dharmakâya est obtenu par un bouddha « pour son bien ­propre » alors que les deux corps formels, le sambhogakâya et le nirmânakâya, se manifestent pour le bien des êtres.

Le dharmakâya se révèle quand le voile « qui recouvre ce qui est à connaître » s’est dissout ; le sambhogakâya, quand le voile des passions n’est plus, et le nirmânakâya quand le voile du karma a été purifié.

Le dharmakâya est l’aspect indéterminé de la nature de bouddha. Il demeure en l’omniprésent palais du domaine infini, le dharma­dhâtu, embrassant et pénétrant tout, samsâra comme nirvâna, et transcendant toutes les catégories produites par l’esprit. Il est sans origine et sans fin, sans apparition, destruction ni localisation.

Dans ce domaine infini, au-delà des trois sphères du samsâra, le sambhogakâya se manifeste avec une forme aux bodhisattvas des dix degrés. Résultant de la conjonction de deux facteurs qui sont l’apparence et les qualités inhérentes au dharmakâya, et le karma positif des bodhisattvas qui le perçoivent, il est appelé le « sambhogakâya résultant de la conjonction de deux facteurs qui le constituent chacun par moitié ».

Le nirmânakâya est le corps par lequel un bouddha se manifeste dans le monde habituel. Il peut être perçu par les êtres ordinaires sous trois aspects : en premier lieu, celui des émanations qui, en ce monde, éduquent les êtres dans l’exercice d’une activité traditionnelle ; ce sont les émanations se manifestant dans les arts et métiers. Il y a également les émanations de naissance, qui ­éduquent les êtres en empruntant des formes variées : humaines pour les hommes, animales pour les animaux, etc. Enfin, les suprêmes émanations œuvrent, tel le bouddha Shâkyamuni, pour le bien des vivants en douze actes : quitter le ciel de Tushita, entrer dans une matrice, naître, étudier les sciences et les arts traditionnels, prendre femme, renoncer au monde, pratiquer l’ascétisme, s’asseoir sous l’arbre de la bodhi, maîtriser les armées de Mâra, atteindre l’illumination, tourner la roue du dharma et partir en parinirvâna.

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