La voie de la libération
3.5. Mahâmudrâ et Dzogchen, la voie immédiate de l’auto-libération
«Souveraine est la vue transcendant les saisies dualistes.
Souveraine est la méditation, libre de distraction.
Souveraine est l’action du non-agir.
Quand il n’est plus ni peur ni espoir, le fruit est réalisé.»
Tilopa, Le Mahâmudrâ du Gange.
3.5.5. Les expériences et la réalisation
Tant que nous sommes débutants, il est difficile que notre méditation soit vraiment claire et dégagée. Mais nous pouvons, avec l’aide de notre lama, apprendre à laisser notre esprit dans son état naturellement transparent et lucide, complètement clair et ouvert, ainsi, simplement, tel quel, en son état naturel, gardant seulement la clarté nécessaire pour qu’il reste alerte.
Si nous méditons ainsi très régulièrement, petit à petit, notre esprit deviendra de plus en plus clair, dégagé, lucide, attentif, et la pratique se développera.
Reconnaître, cultiver, stabiliser
Reprenons l’image du ciel obscurci par des nuages, ce qui illustre la condition d’ignorance des êtres ordinaires. L’espace et le soleil sont là, mais l’espace est complètement voilé et la lumière ne peut transparaître. Les expériences authentiques de la méditation qui commencent à se développer profondément sont comme la toute petite percée au milieu des nuages : une petite éclaircie laisse filtrer un rayon de soleil apportant un peu de clarté. Nous entrevoyons alors un aspect de vacuité, de clarté ou d’expérience sans blocage de l’esprit. De plus en plus, les nuages s’évaporent, et le ciel s’ouvre à la clarté du soleil ; la gangue se dissout révélant l’éclat du joyau.
Tout ce que nous venons de dire n’est que mots, du son-vide. Comprendre ce dont il s’agit est réaliser la vacuité, c’est une chose difficile. Il faut d’abord, grâce à son lama, recevoir la « présentation directe », reconnaître l’esprit d’immédiateté1Voir le chapitre précédent.; puis il s’agit de le développer, le cultiver sans cesse dans toutes nos activités jusqu’à ce que la pratique devienne définitivement stable2« Présentation », « développement » et « stabilisation » de cette pratique se disent, respectivement, en tibétain : « Ngotrö », « kyongwa » et « tenpa ».. C’est ainsi que nous traversons les étapes et arrivons à la réalisation finale.
Les quatre yogas de Mahâmudrâ
La progression dans la réalisation de Mahâmudrâ est décrite suivant quatre yogas, quatre niveaux d’approche puis d’union à l’expérience de Mahâmudrâ, chacun de ces quatre niveaux étant à son tour subdivisé en trois, cela fait en tout douze degrés.
– Le premier niveau est appelé « unification »3« Tséchik » en tibétain., c’est l’étape pendant laquelle, après avoir été initié à l’expérience de Mahâmudrâ et l’avoir reconnue, l’esprit d’immédiateté est cultivé sans distraction ; d’abord pendant la méditation assise, puis dans la méditation en action, c’est-à-dire en toute circonstance et en toute activité. Celui-ci devenant de plus en plus stable, on traverse les trois niveaux de l’unification ; lorsqu’il est devenu complètement stable, à la limite, de jour comme de nuit, c’est là le niveau supérieur de l’unification et l’expérience du niveau suivant n’est alors plus très loin.
– Le deuxième niveau est appelé « simplicité » ou « sans mental », car c’est l’au-delà de toutes les productions du mental habituel. La réalisation de ce niveau est l’expérience directe de la vacuité ; dans la classification du mahâyâna, c’est ce qui est nommé la « voie de la vision », l’obtention du premier degré des bodhisattvas supérieurs, la libération initiale des illusions du samsâra4Voir supra Les étapes de la réalisation..
– Le troisième niveau est dit « saveur unique », toute expérience y ayant la saveur unique de mahâsukha5Voir supra La pratique de Mahâmudrâ., la grande félicité qu’est Mahâmudrâ.
– Le quatrième niveau a pour nom « non-méditation » : c’est la réalisation finale, complètement au-delà des notions de méditation et de non-méditation, de toutes les expériences de méditant et de méditation. Le niveau supérieur de l’absence de méditation correspond aussi à ce que la tradition de Dzogchen appelle l’« expérience d’épuisement de la vacuité »; c’est l’ultime état de bouddha.
Conclusion
Quand on commence à entrevoir ce qu’est la pratique de Mahâmudrâ, il s’agit, en ayant confiance en l’enseignement et en les Trois joyaux, de cultiver son état, autant que faire se peut, adressant des prières au lama ; ainsi, la pratique progressera.
Si nous ne comprenons pas ce dont il s’agit, c’est que notre esprit est encore recouvert par beaucoup de voiles, d’obscurité et d’émotions ; aussi est-il important d’être diligent en les pratiques du développement-dévoilement.
La contemplation de Mahâmudrâ est la voie que tous les accomplis de la lignée ont suivie, c’est par elle que tous les lamas remarquables tels que Milarepa et bien d’autres sont arrivés à l’éveil.
L’ultime enseignement de Milarepa
Un jour, Milarepa avertit Gampopa que le moment était venu pour lui de partir. Il lui dit :
« Tu as reçu toute la transmission : comme on verse l’eau d’un vase en un autre, je t’ai transmis tous les enseignements. Il ne reste qu’une dernière instruction essentielle que je ne t’ai pas révélée ; c’est un enseignement très secret… »
Puis Milarepa accompagna Gampopa jusqu’à une rivière où ils devaient se séparer. Gampopa fit ses prosternations pour prendre congé, et traversa. Mais Milarepa le rappela et il retraversa alors le cours d’eau.
« Tu es vraiment un bon disciple. Cet ultime enseignement, je vais quand même te le donner », dit Milarepa.
Gampopa, ravi, se prosterna neuf fois, puis attendit que Milarepa l’instruise. C’est alors que Milarepa se retourna et, troussant sa robe, il lui montra ses fesses.
« Tu vois bien ? »
Et Gampopa :
« Heu… Oui !
– As-tu bien vu ? »
Gampopa ne savait pas très bien ce qu’il fallait voir. Milarepa avait de la corne sur les fesses : mi-chair, mi-pierre.
« Vois-tu, je suis arrivé à l’éveil ainsi : assis et méditant. Si, de ton vivant, tu souhaites y arriver, aie la même énergie. Tel est mon ultime enseignement, auquel je n’ajouterai rien. »
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