La voie de la libération

3.4. Le vajrayâna, voie de la transmutation

«Aucun sûtra, tantra ou shâstra, ne mentionne l’histoire d’un être qui aurait atteint la boud­dhéité sans dépendre d’un maître. On peut également constater par soi-même que personne n’a jamais fait naître en lui, à sa manière et par ses propres efforts, les qualités propres aux degrés et aux chemins.»
Patrul Rinpoché,Le Chemin de la grande perfection.

3.4.2. Le guide et la direction spirituelle

D’une façon générale, nous avons besoin de quelqu’un qui puisse nous guider sur la voie, nous enseignant, nous dirigeant, nous aidant, nous indiquant les écueils et le cheminement juste.

Le lama père-mère spirituel

Un guide n’est pas un directeur au sens ordinaire ou une personne qui exercerait sur nous son influence ; c’est quelqu’un qu’il peut être difficile de cerner mais qui pourrait, selon un exemple mondain, être considéré un peu comme des parents, à la fois un père et une mère. C’est quelqu’un qui nous aide et qui nous guide au niveau de l’esprit, de la même façon que nos parents nous ont éduqués au niveau mondain. Ils nous ont appris ce qu’il était dangereux et ce qu’il était bon de faire. De façon similaire, un lama nous apprend, au niveau spirituel, ce qui est sain ou malsain, positif ou négatif. Il peut nous guider et nous amener à une maturité spirituelle. En suivant les conseils de nos parents, nous avons appris le monde et nous nous sommes développés. De la même façon, en étant à l’écoute des conseils de notre lama, de notre « père-mère spirituel », nous pouvons progressivement cultiver ce qui est positif, abandonner ce qui est négatif, approfondir notre maturité intérieure, et ouvrir notre esprit à la réalisation. De la même façon que nous estimons et apprécions la bonté de nos parents, et que nous leur en sommes reconnaissants, il est important que nous appréciions la bonté de notre lama et ayons envers lui une reconnaissance analogue.

Néanmoins, il y a des différences de niveaux : nos parents nous ont éduqués, nous ont donné et nous ont appris ce qui est bon pour cette vie, pour maintenant, alors que celui qui est notre ­« père-mère spirituel » nous enseigne ce qui est bon à la fois maintenant et pour toutes les existences futures jusqu’à l’éveil. Nous devrions donc étendre la gratitude que nous avons envers nos parents à notre « père-mère spirituel » avec cette dimension supplémentaire.

Une autre différence se situe dans l’ampleur de la motivation d’amour envers des parents au sens ordinaire et un lama. Les premiers aiment leurs enfants, leurs fils et leurs filles ; mais cet amour se restreint généralement à ceux-ci, alors qu’un lama a une attitude d’amour et de compassion envers tous les vivants.

Une autre différence importante est l’inspiration spirituelle : nos parents nous ont aidés, ont fait tout ce qui était bon pour nous, mais leur bienveillance se situe en dehors de toute influence spirituelle. Alors que le lama qui nous aide est à l’origine d’une inspiration spirituelle rattachée à l’éveil et au bouddha Vajradhâra, l’ultime réalisation, par une lignée ininterrompue. Le lama est le porte-parole et l’expression de l’enseignement et de la réalisation, il nous transmet ce qui est utile à notre esprit, et grâce à lui nous pouvons recevoir l’influence spirituelle de tous les bouddhas.

Une autre différence fondamentale se manifeste dans la réalisation et les accomplissements : avec ce que nous ont appris nos parents, nous pouvons réaliser des choses en ce monde, avoir une situation sociale, gagner de l’argent, être riche et dans une position mondaine propice. Au travers de la relation que nous entretenons avec notre lama, nous pouvons accomplir quelque chose d’incomparablement plus profond, car cette relation peut nous éveiller à la réalisation spirituelle, à l’état de bouddha ; ce qui est inestimable, aussi bien pour cette vie qu’en toute existence, pour nous et pour tous les êtres. Ainsi l’activité d’un lama est-elle pourvue de pouvoirs d’accomplissements ; il est le canal, le transmetteur, celui au travers duquel ces pouvoirs et réalisations peuvent se transmettre, nous parvenir, et nous aider au niveau le plus profond.

Les niveaux de relation au guide

D’une façon générale, il y a des niveaux graduels dans la relation à un guide, souvent décrits en rapport avec les trois yânas.

     –Au niveau du hînayâna, nous respectons le guide et éprouvons une grande reconnaissance pour la bonté qu’il a de nous donner le dharma ; il est appelé « lopön », un « professeur », ou un « khempo », un maître en enseignements. Il est un instructeur et enseigne, donne des préceptes, ou dirige un monastère.

     –Dans le mahâyâna, la relation avec le guide acquiert une dimension plus importante, il devient un « ami spirituel », un « ami de bien » ou « ami de vertu » : c’est un conseiller au niveau intérieur.

     –Le vajrayâna donne au guide encore plus d’importance : à ce niveau, c’est un lama. Le « lama racine », c’est-à-dire le lama qui guide personnellement un pratiquant du vajrayâna, est considéré comme le bouddha Vajradhâra, l’essence et l’union de tous les bouddhas des trois temps et des dix directions. Il est l’essence de leurs corps, parole et esprit, de leurs vertus, de leurs qualités spéciales et de leur activité. Pour un pratiquant du vajrayâna, le lama est ainsi de la plus haute importance. Il est l’égal du Bouddha par les qualités et plus estimable encore que tout autre aspect du Bouddha par la bonté qu’il a de nous transmettre les enseignements. C’est cette relation essentielle qui permet au niveau le plus profond, au niveau du vajra­yâna, la transmission de l’inspiration et la direction spirituelle.

Gampopa rencontre Milarepa

Gampopa avait l’habitude de faire quotidiennement des circumambulations autour d’un stûpa. Un jour, alors que sévissait en cette région une grave famine, tout en circumambulant, il surprit la conversation de trois mendiants affamés.
L’un disait :
« J’aimerais bien être le roi et avoir tout son or pour me payer un festin. »
L’autre :
« Si seulement je pouvais avoir un thé et un bon bol de soupe, ce serait déjà merveilleux. »
Et le troisième :
« Moi, ce que je voudrais le plus, ce serait de rencontrer le grand yogi Milarepa, lui qui vit seul dans les montagnes et qui n’a besoin d’autre nourriture que celle du samâdhi. »
Ce nom de Milarepa eut en Gampopa une résonance qui éveilla une émotion au plus profond de son être. Tout de suite il voulut en savoir plus et alla trouver le mendiant :
« Qui est ce Milarepa ? Que fait-il ?
– Milarepa est un yogi ermite, un être merveilleusement accompli qui vit dans les montagnes. »
Et à sa requête, il lui expliqua où et comment le trouver.
Au même moment, dans les montagnes, Milarepa donnait des enseignements, entouré d’un certain nombre de disciples. Il leur dit :
« Dans quelques jours, va venir du Sud pour me rencontrer un excellent moine qui est un véritable bodhisattva. Si certains d’entre vous peuvent l’aider, ce sera particulièrement positif et cela vous aidera grandement à progresser vers l’éveil. »
Bientôt, Gampopa arriva dans la région où vivait Milarepa. Il rencontra l’une de ses disciples, qui avait entendu la prédiction. Gampopa lui dit :
« Je viens du Sud, à la recherche de Milarepa le yogi ; sauriez-vous où il est ? »
Et la femme :
« Tu viens du Sud, tu es moine… Tu dois être le grand bodhisattva dont Milarepa a prédit l’arrivée. Je vais t’aider à aller à sa rencontre : il nous y a encouragés. »
Gampopa pensa : « Je dois être quelqu’un d’extraordinaire, pour que le grand Milarepa ait fait une telle prédiction ! », et il s’enorgueillit intérieurement. Quand, conduit par la femme, il arriva auprès de Milarepa, celui-ci, grâce à ses connaissances extraordinaires, put voir son état d’esprit. Et bien que ce fût un noble moine, pendant quinze jours il ne lui donna audience. L’attente fit retomber l’orgueil de Gampopa, quand finalement Milarepa, assis dans sa grotte, l’appela. Gampopa, en arrivant, fit respectueusement trois prosternations ; puis Milarepa l’invita à s’asseoir :
« Bienvenue ! Tiens, bois ! », dit-il en lui tendant un crâne rempli d’alcool.
Gampopa, décontenancé, hésita. D’un côté, il ne pouvait refuser ce que lui offrait celui qu’il venait rencontrer pour recevoir des enseignements, mais d’un autre côté, un bon moine ne pouvait boire cet alcool. Le dilemme était terrible. Milarepa insista.
« Ne tergiverse pas tant : bois ! »
Alors, cessant toute réflexion, Gampopa but d’un trait tout l’alcool du crâne.
« C’est excellent ! Voilà qui augure de ta capacité à assimiler tous les enseignements de la lignée. »
Gampopa resta très longtemps auprès de Milarepa ; il reçut les enseignements, les pratiqua, en développa une compréhension profonde et arriva à la réalisation.

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