La voie de la libération
3.5. Mahâmudrâ et Dzogchen, la voie immédiate de l’auto-libération
«Que l’on ait des facultés supérieures,
Intermédiaires ou inférieures,
La diminution des fixations du soi
Et l’apaisement des passions
Sont les meilleurs signes de succès.»
Gampopa,Le Précieux Rosaire de la voie sublime.
3.5.2. Transmission et réceptivités
Mahâmudrâ ou Dzogchen, l’essence des sûtras et des tantras, le fondement de tous les enseignements du Bouddha, ne doit pas être transmis sans précaution ni divulgué sans discernement ; c’est un enseignement très précieux et très sacré. Il doit être expliqué à ceux qui sont prêts à le recevoir, qui ont l’intelligence nécessaire pour le comprendre ainsi que la confiance et l’énergie pour le pratiquer.
La pépite d’or
Si une personne ayant la réceptivité permettant de réaliser Mahâmudrâ ou Dzogchen établit une connexion profonde avec un lama qualifié, il peut y avoir une véritable transmission et une compréhension authentique. Cette personne pourra en tirer un très grand profit, ce qui est merveilleux et extrêmement positif.
D’un autre côté, si quelqu’un de non qualifié reçoit l’enseignement de Mahâmudrâ ou de Dzogchen, comme celui-ci est « secret par nature », il n’y a pas d’inconvénient à ce que cette personne l’écoute mais il ne pourra pas lui être vraiment utile, c’est alors indifférent. Néanmoins il y a le risque que cette personne laisse naître en elle des vues erronées, ou perde la confiance qu’elle avait, ce qui serait extrêmement mauvais. Ces enseignements doivent donc être donnés avec discernement et d’une façon correcte.
Le lama qui expose l’enseignement doit avoir une motivation sincèrement orientée vers le bien d’autrui, et le désir de vraiment aider ceux à qui il le transmet. L’enseignement doit être compris comme étant un moyen d’obtenir la libération et d’aider tous les êtres à se libérer des souffrances du cycle des existences.
Les disciples qui l’écoutent doivent, pour pouvoir en bénéficier, être capables de considérer le lama comme étant vraiment le bouddha Vajradhâra ou Samantabhadra, et l’enseignement comme un nectar dissipant toutes les impuretés de l’esprit.
Alors, si l’enseignement est compris, c’est qu’il pouvait être reçu ; s’il ne l’est pas, il faut au moins garder confiance en lui, car il est extrêmement bénéfique et peut aider certains êtres. Il est particulièrement important de ne pas laisser naître des conceptions erronées ; en l’absence de celles-ci, il n’y aura aucune faute.
Supposez que j’aie dans la main une pépite d’or au milieu de petites pierres et de petits coquillages, et que je lance tout cela parmi l’assemblée : quelqu’un trouvera peut-être la pépite d’or !
Les trois types de réceptivité
Mahâmudrâ-Dzogchen peut être, en fait, extrêmement difficile ou, à l’inverse, extrêmement facile à réaliser ; cela dépend des personnes. En effet, si nous sommes tous fondamentalement identiques puisque ayant tous la nature de bouddha, il y a pourtant de grandes disparités quant à la réceptivité aux enseignements permettant de réaliser Mahâmudrâ ou Dzogchen.
Certains êtres ont une réceptivité et des facultés de compréhension supérieures, d’autres une réceptivité et des capacités de compréhension moyennes et d’autres encore une réceptivité et des facultés de compréhension inférieures.
Tous ceux dont les facultés de compréhension sont moyennes ou inférieures, et ils constituent la grande majorité, ne peuvent pas, de prime abord, reconnaître et réaliser la nature de Mahâmudrâ-Dzogchen ; il est nécessaire qu’ils suivent une approche progressive et les préparations que nous avons mentionnées1Voir supra La progression du vajrayâna..
Les êtres de capacités inférieures sont des personnes qui, entendant des explications sur Mahâmudrâ-Dzogchen, n’arrivent pas du tout à voir ce dont il s’agit. En essayant de méditer, elles restent toujours dans le doute, et pensent « non, ça ne doit pas être vraiment ça » ou « je n’y arriverai pas, je ne vois pas ce dont il s’agit ». Ces attitudes sont signes de voiles qui se dissiperont par la pratique du développement-dévoilement.
Les personnes de capacités moyennes ont, quand on leur présente Mahâmudrâ-Dzogchen, une certaine compréhension, mais elle est incomplète, aussi, pour arriver à la réceptivité supérieure, leur est-il également nécessaire de pratiquer le développement-dévoilement.
Les personnes aux capacités supérieures sont celles qui, quand le lama leur présente Mahâmudrâ-Dzogchen, le comprennent tout de suite. Non seulement leur intelligence est extrêmement vive, saisissant immédiatement la profondeur de l’enseignement, mais elles peuvent aussi laisser leur esprit faire l’expérience correspondante ; elles comprennent tout de suite ce dont il s’agit et comment il faut le pratiquer. Elles en ressentent une grande joie et obtiennent aussitôt des résultats. Ces personnes ont naturellement beaucoup de compassion, beaucoup d’énergie pour pratiquer et une grande confiance en leur lama et en les Trois joyaux. De telles personnes reçoivent les quatre niveaux de l’initiation ; alors la relation instaurée par ce lien, grâce à une dévotion sincère, établira la profonde connexion qui transmet l’influence spirituelle, l’inspiration. Cette relation privilégiée permet de comprendre rapidement le sens de Mahâmudrâ-Dzogchen et de le pratiquer de façon juste. La reconnaissance de Mahâmudrâ-Dzogchen dissipe alors les ténèbres de kalpas de samsâra, comme un flambeau qui s’allume peut dissiper des éons d’obscurité. La seule pratique de Mahâmudrâ-Dzogchen peut alors être la panacée pour ces personnes, et pourvoir à tous les besoins, cependant tout cela n’est possible que dans des cas très exceptionnels.
La différence entre les êtres aux facultés supérieures, moyennes ou inférieures n’est pas tant question de qualifications extérieures : être homme ou femme, fort ou faible, avoir ceci ou cela, etc. ; elle tient en ce que les personnes de réceptivité et de capacités supérieures ont déjà effectué, en des existences antérieures, le développement-dévoilement, alors que les autres ne l’ont pas fait. Avoir ces capacités supérieures n’est pas quelque chose que l’on possède nécessairement dès la naissance ; mais il est possible, en pratiquant largement le développement-dévoilement, que chacun de nous devienne aussi, en cette vie même, un être de capacité supérieure2Ibid..
L’éveil d’Indrabodhi
Un exemple de personne aux capacités supérieures fut, autrefois en Inde à l’époque du bouddha Shâkyamuni, le roi Indrabodhi. En tant que grand roi, il possédait un palais et une cour où il jouissait constamment de tous les plaisirs des sens. Il était réputé, en particulier, pour être entouré de la compagnie de cinq cents courtisanes le jour et de cinq cents autres la nuit ! Un jour, alors qu’il jouait avec elles sur la terrasse du palais, passa dans le ciel une troupe de cinq cents grands oiseaux jaunes.
« Bizarre, je n’ai jamais vu auparavant d’oiseaux jaunes de cette taille, prenez donc des renseignements ! » dit le roi, intrigué.
Un ministre pratiquant du dharma, lui dit :
« Votre Majesté, ce ne sont point des oiseaux, mais le seigneur Bouddha qui se déplace avec ses cinq cents arhats. »
– Voilà qui est merveilleux, dit le roi. Invitez-les donc à venir au palais, s’ils le veulent bien.
– Votre Majesté, ils demeurent fort loin, et il serait long et difficile d’envoyer un messager, mais ce n’est sans doute pas nécessaire car le Bouddha est omniscient et il suffit de le prier en pensées pour qu’il vienne. »
Le roi ordonna alors que l’on fît les préparatifs adéquats et que la terrasse du palais soit dégagée pour que le bouddha Shâkyamuni et sa suite puissent atterrir. Quelques jours plus tard, lorsque la grande réception fut prête, le roi et sa cour se réunirent pour prier le Bouddha de venir, et il vint avec ses cinq cents arhats. Le roi fit servir le banquet, se prosterna par trois fois devant le bouddha Shâkyamuni, et dit :
« Vous êtes merveilleux ! Pourriez-vous me donner un enseignement, pour que j’atteigne aussi la réalisation que vous avez obtenue. »
Le bouddha Shâkyamuni dit :
« Certainement ! » Et il lui enseigna les quatre nobles vérités, expliquant que tout est souffrance, et en particulier que tous les plaisirs des sens étant des enchaînements au samsâra, il faut les abandonner…
Le roi, quelque peu décontenancé, dit :
« Oui, c’est sans aucun doute très bien, mais ce n’est guère pour moi, je ne vais pas ainsi renoncer aux plaisirs des sens ; si vous n’avez pas d’autres enseignements, je crains de ne pouvoir pratiquer. »
Le bouddha Shâkyamuni avait reconnu par ses pouvoirs miraculeux qu’Indrabodhi était une personne de capacité supérieure et, faisant en sorte que les cinq cents arhats et le reste de l’entourage ne voient pas ce qui allait se passer, pour le roi seul, il fit apparaître le mandala du yidam Guhyasamâja et lui conféra ses quatre niveaux d’initiation, en même temps qu’il lui fit reconnaître la nature de l’esprit, Mahâmudrâ.
Au moment même de l’initiation, le roi atteignit ce qu’on appelle dans le mahâyâna la « première terre de bodhisattva », « la joie supérieure ». Puis, il pratiqua Mahâmudrâ, dans la reconnaissance de la nature de son esprit, sans distraction, pendant douze ans, et ce, tout en continuant comme auparavant à jouir des cinq sens et des courtisanes…
Au terme de ces douze années, le roi atteignit la réalisation la plus élevée, la dixième terre de bodhisattva, la pleine réalisation de Mahâmudrâ. Il commença alors à conférer les quatre initiations de Guhyasamâja aux gens de son royaume et à leur transmettre Mahâmudrâ. Assez rapidement le pays se vida complètement, tous ses sujets s’en étant allés en les terres pures…
Le roi Indrabodhi était un être aux capacités supérieures, c’est pourquoi, dès qu’il eut reçu l’initiation, il réalisa Mahâmudrâ.
Vous considérez peut-être que ce n’est qu’une histoire, une sorte de légende, parce qu’il est difficile d’admettre qu’Indrabodhi ait pu avoir cinq cents courtisanes le jour et cinq cents la nuit, et que tout son royaume atteignit l’éveil. Mais pourtant c’est aussi une histoire vraie : de même que l’esprit peut, par la seule force de sa pensée, éprouver toutes les possibilités de bonheurs et de souffrances et faire toutes les expériences que nous connaissons d’ordinaire ; quand il est devenu parfaitement pur cette faculté rend possible des choses qui habituellement ne le sont pas. C’est pourquoi cette histoire est aussi une histoire vraie et possible.
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