Le Joyau Magique

1. La vie de Gampopa

Gampopa fut prophétisé par Bouddha.
Médecin, père de famille puis moine.

Nous donnons ici les faits marquants de l’existence de Gampopa, éclairant la composition du Joyau Magique. Pour une présentation plus détaillée, se reporter à la biographie éditée aux Editions Claire Lumière, La vie de Gampopa, ou à l’introduction de The Jewel Ornement of Liberation.

Gampopa naquit en 1079, et décéda à soixante-quatorze ans, en 1153. Sa vie court ainsi sur les XIe et XIIe siècles. Il fut prophétisé par Marpa, dans un rêve, et aussi par Milarépa, dans une prophétie de Vajrayoginî. Avant eux, on trouve aussi, dans Le Sûtra du Lotus de la Grande Compassion, une prophétie du Bouddha lui-même. On peut lire :

Ananda ! Dans l’avenir, après mon départ en nirvâna, un moine appelé Tsodjé, docteur de Dhagpo, apparaîtra dans le Nord. Il rendra d’incommensurables services au précieux Bouddha après avoir servi des myriades d’êtres éveillés dans ses existences passées. Il sera bien enraciné dans la vertu, doté de nobles pensées et, grâce à une motivation indéfectible, il sera entré sur la voie immaculée du Grand Véhicule, pour le bien et le bonheur de nombreux êtres. Il sera très avisé parmi les hommes, et versé dans les écritures de la voie des bodhisattvas. Il enseignera selon le Grand Véhicule, le démontrera rigoureusement et parfaitement.

Gampopa est né dans une famille de médecins et reçoit une éducation d’apprenti médecin. À vingt-deux ans, il se marie. De cette alliance, naissent un fils et une fille. Ceux-ci meurent brutalement lors d’une épidémie (probablement la peste), et son épouse tombe elle-même gravement malade. Il ne parvient pas à la guérir. Alors qu’elle est à l’agonie, couchée sur son lit mortuaire, il formule le vœu de ne pas se remarier et de se consacrer pleinement à l’enseignement. Après avoir ainsi perdu tous les siens, il prend l’ordination monastique puis devient disciple de Milarépa, dont il sera l’un des principaux héritiers.

2. Le double héritage de Gampopa

Il eut d’abord la formation Kadampa,
Puis devint disciple du yogi Mila.

En prenant l’ordination, Gampopa reçoit le nom de Seunam Rinchèn (bsod nams rin chen), « Précieux Bienfait ». Il suit une formation Kadampa avec un disciple d’Atisha.Durant ses méditations, il a des visions d’un yogi, visions qui présagent de sa rencontre avec Milarépa. Quelques temps plus tard, alors qu’une famine sévit dans la région, Gampopa surprit une conversation qui va l’inciter à chercher et rejoindre Milarépa. Il a alors trente-deux ans. L’épisode est rapporté dans La Voie du Bouddha de Kalou Rimpoché.

Gampopa avait l’habitude de faire quotidiennement des circumambulations autour d’un stûpa. Un jour, alors que sévissait en cette région une grave famine, tout en circumambulant, il surprit la conversation de trois mendiants affamés.

L’un disait :
« J’aimerais bien être le roi et avoir tout son or pour me payer un festin. »

L’autre :
« Si seulement je pouvais avoir un thé et un bon bol de soupe, ce serait déjà merveilleux. »

Et le troisième :
« Moi, ce que je voudrais le plus, ce serait de rencontrer le grand yogi Milarépa, lui qui vit seul dans les montagnes et qui n’a besoin d’autre nourriture que celle du samâdhi. »

Ce nom de Milarépa eut en Gampopa une résonance qui éveilla une émotion au plus profond de son être. Tout de suite il voulut en savoir plus et alla trouver le mendiant :
« Qui est ce Milarépa ? Que fait-il ?

– Milarépa est un yogi ermite, un être merveilleusement accompli qui vit dans les montagnes. »

Et à sa requête, il lui expliqua où et comment le trouver.

Au même moment, dans les montagnes, Milarépa donnait des enseignements, entouré d’un certain nombre de disciples. Il leur dit :

« Dans quelques jours, va venir du sud pour me rencontrer un excellent moine qui est un véritable bodhisattva. Si certains d’entre vous peuvent l’aider, ce sera particulièrement positif et cela vous aidera grandement à progresser vers l’éveil. »

Bientôt, Gampopa arriva dans la région où vivait Milarépa. Il rencontra l’une de ses disciples, qui avait entendu la prédiction. Gampopa lui dit :
« Je viens du sud, à la recherche de Milarépa le yogi ; sauriez-vous où il est ? »

Et la femme :
« Tu viens du sud, tu es moine… Tu dois être le grand bodhisattva dont Milarépa a prédit l’arrivée. Je vais t’aider à aller à sa rencontre : il nous y a encouragés. »

Gampopa pensa : « Je dois être quelqu’un d’extraordinaire, pour que le grand Milarépa ait fait une telle prédiction ! », et il s’enorgueillit intérieurement. Quand, conduit par la femme, il arriva auprès de Milarépa, celui-ci, grâce à ses connaissances extraordinaires, put voir son état d’esprit. Et bien que ce fût un noble moine, pendant quinze jours il ne lui donna audience. L’attente fit retomber l’orgueil de Gampopa, quand finalement Milarépa, assis dans sa grotte, l’appela. Gampopa, en arrivant, fit respectueusement trois prosternations ; puis Milarépa l’invita à s’asseoir :

« Bienvenue ! Tiens, bois ! », dit-il en lui tendant un crâne rempli d’alcool.

Gampopa, décontenancé, hésita. D’un côté, il ne pouvait refuser ce que lui offrait celui qu’il venait rencontrer pour recevoir des enseignements, mais d’un autre côté, un bon moine ne pouvait boire cet alcool. Le dilemme était terrible. Milarépa insista.

« Ne tergiverse pas tant : bois ! »

Alors, cessant toute réflexion, Gampopa but d’un trait tout l’alcool du crâne.

« C’est excellent ! Voilà qui augure de ta capacité à assimiler tous les enseignements de la lignée. »

Gampopa resta très longtemps auprès de Milarépa ; il reçut les enseignements, les pratiqua, en développa une compréhension profonde et arriva à la réalisation.

Cette anecdote illustre sa profonde connexion avec Milarépa et sa capacité à recevoir ses enseignements dans leur totalité. Sur cette base, il reçut et pratiqua les enseignements secrets du vajrayâna : en particulier, l’initiation de Vajrayoginî et la pratique de Toumo1Vajrayoginî est une des principales déités du Vajrayana et Toumo, un de ses principaux yogas.. Enseignement qui nous instruit sur la voie qu’il propose, le récit de sa vie révèle aussi la profondeur de sa pratique. Pour illustrer l’importance de l’approche méditative dans la lignée de Gampopa, nous pouvons citer le dernier enseignement que lui transmit Milarépa lors de leur dernière rencontre. Alors que Gampopa s’éloignait, Milarépa le rappela et lui montra son postérieur. Il était couvert de callosités, traces laissées par des années d’assise et d’ascèse …2Cette anecdote est développée dans La voie du Bouddha, de Kyabdjé Kalou Rimpoché, p. 332.

3. La lignée de Gampopa et Le Joyau Magique

La convergence de ces deux héritages
Marque sa vie, sa filiation, son lamrim :
« Le Précieux Joyau Magique du Dharma ».

Après le départ en parinirvana de Milarépa, Gampopa va fonder plusieurs monastères dans le centre et l’ouest du Tibet. Il aura quatre principaux disciples :

Tusoum Khyènpa (1110- 1193), le premier Karmapa, à l’origine de la lignée Karma Kagyu ;

Pamo Droupa (1100- 1170), à l’origine de la lignée Pamo Kagyu (dont les disciples initieront à leur tour huit lignées dont les plus renommées sont les lignées Drugpa Kagyu et Drikung Kagyu) ;

Shang Tsalpa Tsondru Drag (1123-1193), à l’origine de la lignée Tsépa Kagyu

Dharma Ouangtchouk (XIe siècle), à l’origine des Baram Kagyu3Pour une présentation détaillée de la lignée Kagyu, de ses quatre lignées majeures et de ses lignées mineures, se reporter à la partie de l’U.V. 2 du Chédra consacrée à la transmission au Tibet, et particulièrement à la lignée Kagyu..

Gampopa est surtout connu comme étant le fondateur de la lignée monastique Kagyupa. Au travers de la confluence des courants Kadampa et Mahâmudrâ, il a défini le « format » de la tradition Kagyu telle qu’elle fut véhiculée jusqu’à nos jours. La convergence de ses deux transmissions, monastique et yogique, en la personne de Gampopa, correspond largement à celle des approches « subites » et « graduelles » au sein de la lignée Kagyu.

À sa suite, la transmission Kagyu suit une présentation progressive avec en son sein, la dimension immédiate. L’introduction graduelle permet à chacun de trouver ce qui convient à sa progression, avec au sein de celle-ci la présence de la transmission immédiate accessible à ceux dont la réceptivité est supérieure. Lorsque la réceptivité et la disponibilité des étudiants sont authentiques, ils l’entendent, la reçoivent et sont capables de la mettre en pratique.

Cette méthode a perduré dans la lignée Kagyu. La voie du Bouddha, le recueil des enseignements de Kyabdjé Kalou Rimpoché commence, dès les premiers chapitres, avec des instructions sur l’esprit, puis continue avec une présentation progressive des trois véhicules (hînayâna, mahâyâna, vajrayâna), et finalement la présentation de l’approche immédiate de mahâmudrâ suivie des instructions pour l’intégration.

Nous allons maintenant rentrer dans le vif du sujet : la présentation et l’étude du Joyau Magique.

Dans une citation célèbre, Gampopa dit que ceux qui rencontreraient ultérieurement ses principaux enseignements, tels qu’il les a transmis dans Le Joyau Magique et La Guirlande des Maximes de la Voie Suprême4Deuxième ouvrage majeur de Gampopa, le Lamchog Rinchen (écrit lam mchog rin chen) regroupe les instructions qu’il faut connaître et pratiquer. Elles portent sur tous les aspects essentiels de la voie, sont écrites dans une formulation marquante, inspirante et concise, et regroupées suivant les aspects de la pratique qu’elles caractérisent., auraient la même transmission que s’ils l’avaient rencontré en personne. 

 

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