L’esprit et ses transformations
2.2 Vies, morts et renaissances
2.2.5. Le bardo de la vacuité
«Lorsqu’arrivera le moment
Où cesse l’expérience de la vacuité essentielle,
Puissé-je ne pas être effrayé
Par l’assemblée des aspects paisibles et courroucés,
Qui sont l’irradiation de mon propre esprit.»
Padmasambhava, Texte Racine du Bardo Tödröl.
Ce bardo est dit « de la vacuité » car, ainsi que nous venons de l’évoquer, il est, pour un être éveillé, le moment où apparaît la claire lumière, la nature essentielle de l’esprit.
La période d’inconscience qui, pour un être ordinaire, s’y substitue, dure généralement trois jours et demi, période pendant laquelle l’esprit reste dans un état obscur et opaque, inconscient.
Les luminosités et les divinités.
Après cette période d’inconscience, il y a un renouveau de la conscience et de ses illusions. Au moment de leur retour, sont expérimentées, durant quelques instants, cinq luminosités essentielles dites « hyper subtiles ». Elles apparaissent simultanément à l’expérience des aspects paisibles et courroucés du bardo, manifestées par des arcs-en-ciel, des points lumineux, des nuées et d’autres phénomènes lumineux. Ces apparences de la fin du bardo de la vacuité sont très fugaces.
Bien qu’il y ait des différences, cet état est assez comparable à celui entre la veille et le sommeil. Les phénomènes que nous venons d’évoquer, caractéristiques de la limite entre ces deux bardos, sont décrits dans le Livre tibétain des morts comme les apparitions des différentes divinités paisibles et courroucées.
Si nous pouvons reconnaître la nature divine de ces apparences, nous pouvons nous y unir et obtenir spontanément et immédiatement la libération, toute expérience ou toute apparence devenant alors la divinité elle-même.
Pendant cette période sont aussi entendus des sons violents et terrifiants, plus forts que des milliers de tonnerres réunis ; on est assourdi par cette résonance qui est la sonorité de la vacuité. On voit dans toutes les directions, dans tout l’espace, des lueurs telles que des arcs-en-ciel et des points lumineux extrêmement variés. Viennent aussi la perception instantanée des conditions d’existence et la vision des divers domaines purs des bouddhas, leurs sphères célestes : tous les divers états du samsâra comme du nirvâna sont perceptibles. L’expérience de toutes ces choses ressemble à celle des quartiers animés de Paris aux heures d’affluence ! On est comme au milieu d’une immense cohue, avec des gens qui vont et viennent sans arrêt et des flots de voitures qui roulent dans tous les sens. Pour que notre exemple soit plus complet, il faudrait y ajouter un trafic ferroviaire intense et de nombreux avions sillonnant l’espace ; le tout vibrant dans un brouhaha incessant !
Des personnes initiées aux pratiques des bardos et qui en ont une expérience authentique peuvent reconnaître ces diverses apparences et obtenir la libération dans cette phase ; autrement, la situation est difficile. Ignorant la nature des divinités courroucées, on en est effrayé et, pris de terreur, on s’évanouit. De même, comme la nature des aspects paisibles n’est pas reconnue, il n’est pas possible de supporter leur éclat et l’on s’en détourne, comme si l’on fixait la lumière du soleil ou de la lune.
C’est à ce moment-là que sont perçues les différentes luminosités qui sont les lumières des six domaines purs des bouddhas, extrêmement brillantes : blanche, jaune, rouge, verte et bleue, en même temps que les six luminosités correspondant aux six existences du samsâra. Elles ont les mêmes couleurs, mais sont beaucoup plus ternes. On est ébloui par la vive clarté de la lumière des bouddhas, difficile à supporter et l’on s’en détourne. Par contre, attiré et séduit par la pâle lueur des six mondes du samsâra, on s’y dirige et on y reprend naissance.
Cette fin du bardo de la vacuité est la période de restructuration de la conscience ; les divers vents qui l’animent se remanifestent. Le souffle « qui fait s’élever l’ignorance » revient, en même temps que le souffle « éolien » ; ils correspondent aux visions de luminosités vertes. Puis, les souffles ignés, aquatiques et telluriques correspondant respectivement aux luminosités rouges, blanches et jaunes, réapparaissent. Ces cinq luminosités sont l’irradiation des cinq souffles et la quintessence des cinq éléments. Cette remanifestation des cinq éléments se produit en constituant le corps mental de l’être du bardo et ses expériences extérieures.
En même temps que la réapparition des souffles, reviennent, dans l’ordre inverse de celui dans lequel ils avaient disparu, les différents types de pensées : d’abord les sept sortes d’opacité-aveuglement, puis les quarante types de désir-attachement et, finalement, les trente-trois types d’aversion-colère1Voir aussi infra Les huit consciences et les cinq principes élémentaires..
C’est ainsi qu’apparaissent les manifestations et les expériences du bardo du devenir qui s’achèvera par la renaissance dans l’un des six états du samsâra.
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