La voie de la libération

3.1. Présentation : Les différentes approches du Dharma

3.1.1. Les trois cycles de l’enseignement

«J’ai enseigné un unique véhicule.
Il n’y a pas à en distinguer plusieurs.
C’est pour bien diriger les étudiants
Que j’ai enseigné différentes progressions..»
Lankâvatârasûtra.

Nous avons vu précédemment que la nature de notre esprit est enveloppée par différents voiles ; s’ils se dissipent, sa nature fondamentale, semblable à la clarté du soleil dans l’espace d’un ciel dégagé, peut resplendir, et toutes ses qualités rayonner dans l’intelligence, la compassion et les pouvoirs qui sont ceux d’un bouddha1Ce sont les catégories exposant les qualités de l’éveil d’un bouddha.. Les différents cheminements du dharma qui vont être exposés sont tous des moyens de dissiper ces divers voiles et d’accéder ainsi à la réalisation spirituelle2Voir supra Le dharma : une pratique de dévoilement..

Nous sommes habituellement prisonniers de la saisie-fixation dualiste qui nous fait expérimenter de nombreuses apparences illusoires sans que nous puissions reconnaître leur nature. Voyant cette situation, le bouddha Shâkyamuni, dans son immense compassion, enseigna de nombreuses méthodes pour s’en libérer. Toutes sont des moyens adroits pour aider différents types d’êtres, en s’adaptant aux aptitudes et aux besoins de chacun.

La multitude d’enseignements que le bouddha Shâkyamuni a donnés, pour le bien de tous les êtres, est incluse dans trois véhicules ou moyens de progression, nommés : hînayâna, mahâyâna et vajrayâna. C’est sous ces formes que le dharma se diffuse actuellement dans le monde.

Dans la perspective de l’une ou l’autre de ces approches, il s’agit de dépasser les agissements de l’esprit habituel du samsâra, qui est égotique, fondé sur les intérêts personnels et les ambitions de l’ego, lequel recherche son intérêt individuel en essayant d’acquérir égoïstement richesses, renommée ou autre.

Dans la perspective hînayâna, la forte saisie-fixation de l’ego est source des quatre-vingt-quatre mille passions de notre esprit : plaisir, déplaisir, indifférence, états de conscience supérieurs ou inférieurs, ainsi que de tous les conditionnements du samsâra. Le hînayâna enseigne le dépassement de cette fixation par la méditation de la compréhension du non-ego ou du non-soi.

Pour le mahâyâna, il ne s’agit pas seulement de se délivrer soi-­même de la fixation de l’ego, mais d’en délivrer aussi tous les êtres en les aidant à obtenir la félicité de l’éveil. Néanmoins, les pratiques du mahâyâna, tout comme celles du hînayâna, consistent à dépasser les attitudes passionnelles d’attraction, de répulsion ou d’indifférence liées à l’ego.

Le propos du vajrayâna, comme celui du hînayâna et du mahâ­yâna, est le dépassement des fixations de l’ego, qui s’expriment en termes d’attachement, de répulsion et d’indifférence, et de toutes les illusions qui en découlent. Pour nous en libérer, les méthodes du vajrayâna utilisent les méditations sur une divinité et la récitation de son mantra.

Les yânas permettent tous trois de dépasser complètement le sentiment d’exister individuellement, ainsi que l’expérience de ce que nous considérons habituellement comme réel, tout ce à quoi nous pouvons être attachés, c’est-à-dire toutes les fixations de la saisie dualiste.

Les cycles et les yânas

Devant la réalité de la souffrance, pour aider tous les êtres selon leurs besoins, le bouddha Shâkyamuni a d’abord tourné la roue du dharma une première fois, énonçant les « quatre nobles réalités » ou nobles vérités qui sont :

–la noble vérité du mal-être ou de la dysharmonie, c’est-à-dire l’existence de limitations et souffrances multiples,
–la noble vérité de l’origine du mal-être : elle se trouve dans l’ignorance de la nature de notre esprit et dans ses passions,
–la noble vérité de la cessation, c’est-à-dire de la fin de tout mal-être et de toute dysharmonie, l’accession à l’éveil,
–et la noble vérité de la voie, c’est-à-dire du cheminement qui conduit à l’éveil : c’est la pratique du dharma.

Ces quatre nobles réalités constituent la première approche du dharma : l’origine de la souffrance est dans les illusions et les passions qui perturbent l’esprit, et la voie permettant de s’en libérer consiste à discipliner son esprit, à cultiver les actions positives et à abandonner les négatives. S’il n’y avait pas eu ce premier cycle d’enseignement, les êtres n’auraient pas su ce que sont les actions positives et négatives, et ils n’auraient pu s’engager sur la voie de la pratique, cultivant les unes et abandonnant les autres.

Ensuite, le bouddha Shâkyamuni a tourné une deuxième fois la roue du dharma en énonçant les enseignements sur la vacuité, le caractère indéfinissable de la réalité ultime. À ce moment-là, il a enseigné que tous les phénomènes sont sans existence intrinsèque, sans existence propre, qu’ils sont des projections de l’esprit, essentiellement semblables à l’espace. Ce deuxième cycle d’enseignements a été donné comme antidote à la saisie d’une réalité ayant un caractère tangible, existant vraiment. S’il n’avait pas été énoncé, les êtres n’auraient pu se libérer de leur conception du monde comme étant quelque chose de réel.

Ensuite, le bouddha Shâkyamuni a tourné une troisième fois la roue du dharma, en prodiguant les enseignements qui sont dits « de la complète et parfaite explication ». Dans ce troisième cycle, le bouddha Shâkyamuni enseigna, comme dans le deuxième cycle, que tous les phénomènes sont projections de l’esprit, vides d’existence propre ; mais il exposa aussi les qualités de clarté de la vacuité et leur potentiel de capacités et de manifestations illimitées, la nature essentielle de l’esprit pur étant alors une réalité expérimentable.

Les particularités de chaque yâna

Dans la voie vers l’éveil, ces trois cycles d’enseignements des trois yânas correspondent à différentes approches et aux types de pra­tiques désignés comme : hînayâna, mahâyâna, et vajrayâna. Toutes ces approches sont nécessaires et conduisent à un même but : l’éveil. Néanmoins, elles peuvent être plus ou moins appropriées à notre situation.

– Le « hînayâna » est littéralement la « voie étroite » ou le « petit véhicule » ; son approche demande principalement de renoncer aux passions et au monde, l’accent y est mis sur le renoncement, le non-attachement et la discipline extérieure.

– Le « mahâyâna » est la « voie ouverte », le « grand véhicule » ou « véhicule universel » ; c’est une approche qui semblera plus facilement applicable et praticable dans les situations qui sont les nôtres habituellement, car il n’y est plus nécessaire de renoncer, d’abandonner le monde et les choses, comme dans l’approche du hînayâna. Il s’agit de percevoir leur caractère illusoire en faisant l’expérience de leur nature intangible, insubstantielle et irréelle. Cette pratique apprend à développer l’expérience de la vacuité qui est la nature profonde de tout phénomène et à adopter, à l’égard de tous les vivants, une attitude d’amour et de compassion.

Globalement, le mahâyâna enseigne simultanément la compréhension de la vacuité et l’amour-compassion. Il nous apprend à reconnaître en tout être, l’un de nos parents, l’un de nos semblables : il s’agit de ressentir envers chacun un amour et une compassion semblables à ceux que nous éprouverions en voyant nos propres parents dans un état de détresse intense.

L’un ou l’autre de ces deux volets, de vacuité ou de compassion, peut dominer dans certaines des traditions du mahâyâna ; néanmoins, la conjonction des deux est toujours indispensable. Pratiquer simultanément l’amour et la compréhension transcendante est suivre la voie sans erreur qui peut vraiment mener à l’éveil, sans risque de déviation.

D’un autre point de vue, il existe aussi une gradation entre ces deux facettes : on peut dire que l’amour et la compassion sont la pratique au niveau relatif, alors que l’expérience de la compréhension transcendante, de la vacuité, est la pratique au niveau ultime. Le relatif et l’ultime se complètent, et le second s’appuie sur le premier.

Une citation célèbre dit :

«Nul n’arrive à l’ultime réalisation
sans s’appuyer sur le relatif.»

Les deux se développent conjointement : la compassion introduit à la compréhension de la vacuité, et la réalisation de la vacuité est le lieu de la compassion ultime. Cette approche du mahâyâna unissant l’amour et la vacuité met l’accent sur la discipline intérieure : la motivation juste et l’expérience de la méditation. C’est un cheminement universel praticable dans la vie quotidienne actuelle.

– Il y a enfin le « vajrayâna », littéralement la « voie adamantine » ou « fulgurante », qui est fondamentalement une approche encore plus facile à pratiquer et plus rapide, car elle est fondée sur la transmutation. Le vajrayâna a les mêmes bases que le mahâyâna, mais son cheminement fait appel à des méthodes spirituelles spéciales adaptées aux différents êtres. Quand on parle du vajrayâna, il faut comprendre qu’il ne s’agit pas d’une seule et unique pratique mais qu’il comporte différents niveaux : extérieur, intérieur, secret et enfin le plus secret. Ils mettent globalement l’accent sur la discipline la plus intérieure.

Ces approches du hînayâna, du mahâyâna et du vajrayâna ont chacune leur raison d’être : elles correspondent aux facultés, aux réceptivités et aux aspirations de personnes différentes.

<<Page précédentePage suivante>>