La voie de la libération

3.2. Le hînayâna, voie de la discipline

3.2.1. La voie de la discipline

«L’attention est le chemin du royaume immortel,
La négligence celui qui conduit à la mort.
Les hommes attentifs ne meurent pas,
Les négligents sont déjà morts.»
Dhammapada.

Pour obtenir la libération, c’est-à-dire sortir du cycle des existences conditionnées, l’essentiel est, comme nous l’avons vu1Voir supra Un esprit et deux états., de reconnaître la nature essentielle de l’esprit. C’est en effet l’esprit, notre esprit, qui régit nos actes et décide de ce que nous faisons : ce n’est ni notre corps, ni notre parole. L’esprit est l’élément principal, en ce qu’il commande au corps et à la parole ; si nous voulons aller quelque part, il a le pouvoir d’ordonner à notre corps de se mettre en route. Il a aussi le pouvoir de nous faire dire des mots plaisants ou désagréables. Globalement, nous sommes constitués d’un corps, d’une parole et d’un esprit, et si l’aspect essentiel est bien l’esprit, et la réalisation de sa nature, le corps et la parole ont aussi une grande importance : c’est en s’appuyant sur eux que la réalisation spirituelle peut se développer. Nous pourrions dire que le corps et la parole sont en quelque sorte les serviteurs de l’esprit. Il peut quelquefois sembler que ce soient trois éléments différents ; mais en fait, ils existent dans une relation d’étroite interdépendance.

Dans cette perspective, les divers aspects de toutes les pratiques du dharma font appel à ces trois éléments de notre être. Pour cheminer sur la voie, il est essentiel d’avoir une discipline juste aux niveaux du corps, de la parole et de l’esprit. L’approche hînayâna, ou véhicule étroit, est caractérisée par la préoccupation d’éliminer radicalement en soi toute action et toute tendance négatives, et de développer simultanément toutes les situations positives à ces trois niveaux. Elle est orientée vers la libération individuelle de la souffrance et l’obtention de la paix et du bonheur ; cela par une discipline stricte reposant sur la compréhension du karma, l’enchaînement des causes et des conséquences des actes positifs ou négatifs que nous accomplissons. 

La discipline des engagements, et la méditation.

Dans cette perspective, le hînayâna propose différents types d’engagements dits « de libération personnelle », qui maintiennent une discipline juste. Il y a ainsi :
– l’ordination monastique majeure, celle des vœux de bhikshu2L’ordination monastique majeure comprend deux cent cinquante-trois vœux répartis en cinq catégories. Les vœux fondamentaux sont similaires à ceux de l’ordination mineure (voir la note suivante) ; s’y ajoutent d’autres engagements particuliers réglant le mode de vie.
,
– l’ordination monastique mineure de shramanera3L’ordination monastique mineure comprend dix principaux vœux fondés sur les cinq vœux de fidèle laïque (le cinquième étant alors la chasteté), auxquels s’ajoutent : ne pas chanter, ne pas danser, ne pas faire de la musique autre que religieuse, ne pas porter d’ornements, de bijoux ou de parfums, ne pas utiliser de sièges ou de lits élevés, ne pas manger l’après-midi, ne pas accepter or ou argent. Ils sont développés en trente-trois subdivisions.
 , avec moins de voeux,
– ou simplement les vœux d’upâsaka4Les cinq vœux de fidèle laïque sont : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas mentir, ne pas prendre d’intoxicants, et ne pas avoir de relations sexuelles illicites. Le cinquième peut être le vœu de chasteté. Il est possible d’en prendre un ou plusieurs parmi les cinq.
 , de l’engagement de pratiquant dans la vie, d’apprenti de la vertu.

Si nous ne prenons pas les vœux de moine, il y a ceux de pratiquant dans la vie, ou, au moins, l’engagement du refuge dont la discipline consiste à abandonner les dix actes négatifs et à cultiver les dix actes positifs, autant qu’on le peut5Voir infra Le karma et la discipline extérieure.

Ces engagements sont importants comme moyen de fermer la porte aux tendances négatives ; ils facilitent beaucoup l’abandon des actes négatifs et l’adoption des positifs. En effet, si nous ne sommes pas capables, par nous-mêmes et dans le contexte ordinaire, de nous abstenir de tuer, de voler ou de mauvaises activités sexuelles, les engagements donnent la force de le faire ; de même au niveau des actes négatifs de la parole et de l’esprit.

L’approche du hînayâna est aussi une discipline de méditation, qui développe la stabilité du mental par des états d’absorption méditative dans lesquels l’esprit reste attentif à l’objet de sa méditation, sans déviation ni distraction.

Observer la discipline et pratiquer la méditation dans laquelle l’esprit demeure uniquement absorbé en la vacuité constitue la voie du hînayâna ; les fruits en sont l’obtention des réalisations spirituelles d’arhat et de pratyekabuddha6Ces réalisations spirituelles quoique libres du samsâra sont considérées comme n’ayant pas les mêmes qualités d’expression et de rayonnement que celles obtenues comme fruit du vajrayâna..

On peut ainsi résumer l’approche hînayâna à l’observance d’une discipline stricte et au développement d’un état méditatif d’absorption unique.

L’arhat balayeur

Il y eut, dans l’entourage du bouddha Shâkyamuni, un moine sans intelligence, qui n’arrivait même pas à apprendre l’alphabet. Néanmoins, comme il avait une grande confiance en le Bouddha et une grande aspiration vers le dharma, quelques-uns de ses compagnons allèrent trouver le bouddha Shâkyamuni pour lui demander conseil sur la façon de l’aider. Le bouddha Shâkyamuni répondit :

« Il peut lui aussi arriver à la réalisation. Qu’il pratique les actions positives, abandonne les nuisibles, et soit affecté au balayage du temple » ; et il donna des instructions pour qu’il sache comment bien balayer avec attention.

Le moine pratiqua cela pendant plusieurs années, et purifiant son esprit des voiles qui l’obscurcissaient, son intelligence s’aiguisait. Finalement, un jour, alors que le bouddha Shâkyamuni enseignait les quatre nobles vérités, il comprit l’enseignement et obtint l’état d’arhat. Il reste connu comme l’un des grands arhats de l’entourage du bouddha Shâkyamuni.

Le moine ivre et la veuve

Une autre histoire célèbre montre combien il est important de veiller précautionneusement à tous ses vœux.
Un moine mendiant arriva dans une maison où vivait une veuve. Elle le fit entrer, puis s’étant enfermée avec lui, elle dit :

« Si tu veux sortir, ou bien tu bois cet alcool, ou bien tu me fais l’amour, ou tu tues ma chèvre. »

N’ayant aucune échappatoire, le moine se dit : « De trois maux, mieux vaut le moindre », et il pensa qu’il pourrait s’en tirer au moindre mal en buvant seulement l’alcool. Il le fit, mais pris d’ébriété, il succomba à la séduction de la femme, se mit en ménage avec elle ; puis, finalement, dut aussi tuer la chèvre…

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