La voie de la libération
3.2. Le hînayâna, voie de la discipline
3.2.4. Les composantes et les résultantes des actes
«La variété des karmas fait la diversité des êtres.»
Karmashatâkasûtra.
Nous avons déjà évoqué les relations entre les passions et les états de conscience du samsâra1Voir supra Les six mondes.; les notions de karma collectif et de karma individuel, ainsi que celles de karma inducteur d’une naissance et de karma complémentaire dans celle-ci2Voir supra Le jeu de l’illusion.. Nous venons de voir dans les chapitres précédents les différents types de résultats karmiques : la conséquence dominante, puis les prédispositions conformes à l’acte initial, conformes à l’expérience initialement subie, et relatives à l’environnement. Nous allons maintenant envisager des compositions de karma intervenant dans la spécificité et l’intensité des résultats.
Différences qualitatives et quantitatives
D’abord, si chacune des six passions engendre bien le karma spécifique correspondant à la naissance dans l’un des mondes du samsâra, l’intensité globale du karma détermine aussi cette naissance. Ainsi un karma globalement négatif et de grande force, fruit d’une accumulation de nombreux actes nuisibles, conduit en un état infernal ; un karma globalement négatif et de force moyenne, à celui d’esprit avide, et un karma globalement négatif et de force moindre à la condition animale. À l’inverse, si un karma est à dominante positive, naissance sera prise, suivant sa force, dans l’un des trois mondes supérieurs.
La force d’un acte spécifique, sain ou malsain, et celle de ses suites malheureuses ou heureuses dépendent aussi de la qualité de celui vers qui, ou de ce que vers quoi l’acte est dirigé. De plus, dans l’acte proprement dit, la présence et l’absence de plusieurs facteurs interviennent. Ainsi, la force d’un karma dépend de l’intention de l’accomplir, du passage à l’acte, de sa réalisation effective et du sentiment éprouvé par rapport à celui-ci après son accomplissement.
Prenons un exemple : la force du karma et les conséquences de l’action de tuer seront à leur maximum dans le regroupement de plusieurs facteurs, qui sont : la qualité spirituelle de la victime3Par exemple, la colère ou la haine qui font tuer un être éveillé, sage et compatissant, contiennent beaucoup plus d’agressivité que s’il s’agit d’un être ordinaire. Aussi, tuer un être éveillé fait-il plus de tort que de tuer un être ordinaire !, l’intention d’accomplir l’acte, la préméditation du meurtre, la tentative d’homicide, le succès de celui-ci, la mort effective, la satisfaction de son accomplissement et le contentement d’avoir tué. La présence de ces quatre ou cinq éléments donne une force maximale au karma ; quand il en manque un, deux ou trois, son intensité et ses conséquences en sont diminuées d’autant.
De façon similaire, pour un acte positif comme celui de donner, sa qualité et sa force dépendront : de la qualité de celui à qui le don est fait ; de l’intention et de la motivation bienveillante avec lesquelles le don est fait ; du don proprement dit car il s’agit de donner la chose adéquate ; de la façon de donner – respectueusement et de manière juste ; du résultat – de la façon dont il est reçu et du profit qu’il fait à son destinataire ; et enfin de l’attitude d’esprit conséquente du donateur – une satisfaction sans attachement à ce qui a été donné, ni regret.
Il y a aussi différentes façons de produire du karma. On peut le faire en agissant, de façon positive ou négative ; mais on peut aussi développer du karma sans agir physiquement, par exemple en se réjouissant des actes positifs ou négatifs d’autrui.
Le roi et la mendiante
Un grand roi avait invité le bouddha Shâkyamuni et son entourage, et leur présentait chaque jour de nombreuses et riches offrandes. Chaque soir, Bouddha énonçait une dédicace spéciale, mentionnant les bienfaits du roi, dont celui-ci était très fier.
Un jour, arriva dans l’assistance une pauvre vieille femme d’un village voisin. Devant la générosité du roi, elle regrettait de ne rien avoir à offrir au bouddha Shâkyamuni et pensa que c’était sans doute le résultat de vies précédentes où elle avait dû être avide et mesquine, alors que le roi, lui, devait avoir été très généreux pour pouvoir aujourd’hui faire toutes ces offrandes ; elle trouva merveilleux les bienfaits du roi, en fut vraiment contente et s’en réjouit sincèrement.
Ce soir-là, lors de la dédicace, au lieu de mentionner comme à l’accoutumée le nom du roi, bouddha Shâkyamuni nomma la vieille mendiante. Surpris, le roi s’enquit auprès de lui.
Bouddha Shâkyamuni, qui connaissait évidemment son esprit et celui de la vieille mendiante, dit :
« Vous faites, à mes disciples et à moi-même, de grandes offrandes. C’est un merveilleux «développement de bienfaits»4Sur cette expression, voir Le double développement., néanmoins, cette vieille mendiante a développé encore plus de bienfaits par sa sincérité et sa joie de vous voir faire ces dons. »
Le roi fut contrarié car la mendiante avait pris sa place. Alors, un ministre rusé élabora un plan pour plaire à son souverain : il attira les mendiants avec de belles offrandes de nourriture, puis les fit rosser. La vieille femme se mit en colère contre le roi et développa ainsi beaucoup de karma négatif ; ce jour-là, bouddha Shâkyamuni ne la mentionna pas lors de la dédicace…
Cette histoire montre que les bienfaits dépendent plus de la motivation et de l’état d’esprit que de l’acte lui-même.
La production d’un karma dépend à la fois de l’intention et de l’acte accompli. Une mauvaise intention peut accompagner une action généralement positive : il en serait ainsi dans le cas d’une offrande faite pour acquérir de la renommée. Inversement, une bonne intention peut accompagner un acte généralement négatif : c’est le cas par exemple si l’on bat un proche ou si on lui dit des mots durs afin de lui rendre service. Dans tous les cas, la motivation est déterminante.
Le Bouddha capitaine
Dans une vie antérieure, le Bouddha fut capitaine d’un navire. Un jour, alors qu’il transportait cinq cents marchands, vint un brigand qui s’apprêtait à les tuer tous pour s’emparer de leurs richesses. Pris d’une grande compassion pour le brigand et pour les marchands, considérant que si le bandit commettait son acte il subirait en conséquence d’innombrables éons d’états infernaux, avec une pensée altruiste et compatissante il le tua et sauva ainsi la vie des cinq cents marchands. Il avait alors lui-même commis un meurtre, mais sa motivation réellement altruiste et désintéressée fut la source d’un énorme karma positif, car son acte était vraiment bénéfique.
Le mensonge peut aussi être bienfaisant dans certains cas, par exemple pour sauver la vie. Si un meurtrier cherche quelqu’un pour l’assassiner et demande où est cette personne, lui indiquer une fausse direction, pour sauver la vie de cette personne, est bénéfique !
Les composantes et les résultantes
Les différentes composantes de notre karma se combinent pour produire en résultante toutes les expériences et les situations que nous connaissons. Lorsque s’épuisent les conséquences d’un karma, le karma suivant s’actualise ; le premier pouvant être positif et le second négatif, ou inversement.
Par exemple, les combinaisons des karmas mentionnées précédemment sont telles, que d’avoir en des existences précédentes protégé la vie a pour conséquence une tendance à avoir maintenant une vie longue. Mais si, en même temps, on a été violent et si l’on a brutalisé autrui, on risquera d’être souvent malade.
Si, lors d’une naissance antérieure, on a été généreux tout en souhaitant du mal à autrui, on aura en cette vie la possibilité d’être riche mais d’avoir de nombreux ennemis. Si, dans une naissance antérieure, on a abandonné l’inconduite sexuelle tout en semant la discorde autour de soi, on pourra ensuite avoir une femme parfaite, mais avec des risques de mésentente.
Si l’on a précédemment évité l’emploi de paroles agressives, tout en convoitant le bien d’autrui, on pourra ultérieurement être traité aimablement par tous, tout en étant pauvre.
Si l’on a antérieurement pratiqué la générosité et fait des offrandes tout en convoitant les biens d’autrui, on pourra naître riche mais devenir nécessiteux dans cette même vie.
Si l’on a antérieurement peu pratiqué la générosité, on naîtra plutôt pauvre ; mais si l’on a également respecté, honoré et protégé père, mère et aînés, on pourra aussi être puissant, loué et respecté par tous.
Si l’on a été généreux mais jugé le dharma déplaisant, on pourra ensuite être riche tout en ayant une compréhension erronée des enseignements.
Si l’on a antérieurement fait des actes positifs d’une grande force, mais aussi, sous l’emprise de passions telles que la jalousie, fait des souhaits malveillants, on pourra être doté d’une grande puissance et de grandes richesses, et les utiliser pour faire des actes négatifs de grande envergure…
C’est parce que l’on a auparavant développé un karma positif, que l’on dispose maintenant de la précieuse existence humaine avec toutes les qualités requises pour la pratique du dharma5Voir infra Les pratiques préliminaires communes..
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