La voie de la libération

3.5. Mahâmudrâ et Dzogchen, la voie immédiate de l’auto-libération

«Observant, encore et encore, l’esprit inobservable
Lhaktong est claire vision du comment du sens invisible,
Les doutes sur ce qui est ou n’est pas s’étant dissipés
Puisse, sans illusion, ma propre face se reconnaître.»
Karmapa III,Les Souhaits du Mahâmudrâ.

3.5.3. Ngotrö : la présentation de la nature de l’esprit

Dans la pratique, Mahâmudrâ ou Dzogchen sont présentés et le pratiquant expérimente ce qui lui a été transmis puis rapporte son expérience au lama : il y a ainsi un va-et-vient entre l’enseignement et la pratique. Le lama fait une introduction directe, donne des instructions, pose des questions, fait méditer et examiner, puis nous lui rapportons notre expérience. Il nous interroge, nous donne des compléments d’instructions et nous renvoie à la pratique. Nous comparons notre méditation et ses instructions, ses questions et nos observations, pour découvrir la pratique juste.

C’est dans cette communication essentielle que la compréhension réelle, fondée sur l’expérience, se développe petit à petit. Toute cette démarche a pour fonction de faire reconnaître la nature de l’esprit, c’est une « présentation de la nature de l’esprit » – « ngotrö » en tibétain : la nature de l’esprit nous est présentée comme on serait présenté à une personne ou introduit auprès d’elle. Le lama nous la présente, nous fait reconnaître son état essentiel : ce qu’il est, comment il est.

Voir l’esprit et sa nature

Ces méditations commencent souvent par la contemplation de notre esprit : « ce » qui pense et expérimente tout ce que nous connaissons. Nous observons cet esprit qui a la capacité de penser : d’où apparaît-il ? où est-il ? où disparaît-il ? Il s’agit de « voir » ainsi son mode d’apparition, sa localisation et son mode de disparition.

Si nous découvrons comment l’esprit apparaît, où il est localisé et comment il disparaît, nous observons alors qui fait l’expérience de cette découverte. Nous examinons l’état de celui qui en fait l’expérience, la disposition essentielle de l’esprit en tant qu’expérimentateur : a-t-il, comme tel, des caractéristiques en termes de formes, de couleurs, ou de quoi que ce soit ?

Faisant véritablement ces recherches et ces observations, si nous trouvons à l’esprit une forme, une couleur ou une caractéristique particulière, nous la rapportons au lama. Sinon, nous nous interrogeons sur « ce » qui fait ces expériences d’absence de caractéristiques, et voyons aussi comment s’expérimente un esprit sans caractéristiques. N’y a-t-il pas quelqu’un qui ait des caractéristiques et qui soit là pour en faire l’expérience ?

Le point important est de poursuivre ces recherches expérimentalement, par notre observation personnelle en méditation, et en relation avec le lama qui nous guidera jusqu’à ce qu’une certitude s’élève quant à l’existence ou la non-existence de l’esprit.

Après cette première sorte d’observations, nous contemplons l’esprit au repos, l’esprit en mouvement et l’esprit connaisseur. Par exemple, quand l’esprit est au repos dans la pratique de shamatha, comment y est-il ? S’il est dans un état « ouvert et clair », comment sont cette ouverture et cette clarté ? Puis, quand l’esprit est en mouve­ment, lorsque des pensées apparaissent, comment est-il en mouvement ? Comment apparaissent les pensées qui y sont présentes ? Comment sont-elles ? L’esprit au repos et l’esprit en mouvement sont-ils différents ou non ? Dans un cas comme dans l’autre, comment ? Qui connaît l’esprit au repos ou en mouvement, ou comment se connaît-il ? Y a-t-il une différence entre l’esprit au repos ou en mouvement et le connaisseur de celui-ci ? Sont-ils identiques ? Dans un cas comme dans l’autre, comment ? Ont-ils l’un et l’autre des caractéristiques, si oui, lesquelles, s’ils n’en ont pas, comment est cette absence de caractéristiques1Voir aussi supra Qu’est-ce que l’esprit ??

Nous méditons ainsi durant un certain temps, quelques jours, quelques semaines, quelques mois ou quelques années ; mais toujours en nous référant au lama. Nous lui apportons les conclusions chaque fois que nous avons l’impression d’avoir trouvé quelque chose, et il nous dit ce qui est juste, nous aide à dissiper nos doutes, nous montre les erreurs que nous avons pu faire, nous donne des conseils, nous pose de nouvelles questions. C’est dans cette relation que la pratique se précise et s’approfondit, et nous continuons ainsi jusqu’à ce que l’état fondamental de l’esprit, sa situation essentielle, sa nature, soient clairement reconnus, jusqu’à ce que nous ayons trouvé, au-delà de tout doute, l’esprit d’immédiateté – « datar gyi shepa » en tibétain – ou esprit ordinaire – « tamel gyi shepa » en tibétain2Voir aussi infra La pratique de Mahâmudrâ..

Une relation personnelle

Aujourd’hui une telle relation personnelle peut sembler un peu difficile car lamas et disciples sont souvent très occupés, et il est fréquemment nécessaire de donner des instructions rapidement.

C’est que maintenant, il faudrait pouvoir réaliser Mahâmudrâ entre 19h30, quand on rentre à la maison, et 20h l’heure du journal télévisé ! Ou encore devenir bouddha le matin de 6 à 7, avant de partir au travail !

Comprendre véritablement la nature de l’esprit est très délicat. Pour que nous y arrivions, il faut qu’un lama nous donne longtemps des instructions et que, de notre côté, pendant tout ce temps, nous les appliquions, examinant l’esprit. Une profonde dévotion envers le lama ainsi que les pratiques de développement et de dévoilement sont également très importantes. Sans la conjonction de ces différents éléments, il est difficile de reconnaître la nature de l’esprit. Pour que cette reconnaissance soit possible, il faut, d’une part, un lama réalisé ayant des capacités authentiques et, d’autre part, un disciple qualifié par sa dévotion et par son ­développement-dévoilement antérieurs. Lorsqu’une telle rencontre a lieu, le lama peut déceler les compétences du disciple, et celui-ci peut être réceptif à son enseignement. Tout est alors inclus dans cette pratique, il n’est besoin de rien d’autre. Mais, de nos jours, il est rare de rencontrer de telles qualifications de part et d’autre, et donc peu de lamas enseignent ainsi.

La diligence de Rinpo Dorjé

Rinpo Dorjé était un bandit de grand chemin qui, un jour, s’attaquant à un cavalier de passage, l’assassina, puis tua sa jument qu’il dépeça. Comme elle était sur le point de mettre bas, il libéra un petit poulain pitoyable qui lui inspira un grand remords et une profonde compassion.

Il choisit alors d’abandonner le brigandage pour la pratique du dharma, conscient que s’il ne purifiait pas maintenant sa conduite, il devrait en éprouver les conséquences dans les pires tourments infernaux.

Aussi, ayant sollicité et reçu toutes les instructions, il s’installa dans une grotte où il pratiqua shamatha-vipashyanâ et Mahâmudrâ avec une dévotion intense et une énergie indéfectible. Sa diligence était celle de quelqu’un qui éteindrait sa chevelure en feu. Il ne laissait jamais refroidir son siège de méditation, et il est connu pour être arrivé à la réalisation de Mahâmudrâ en six mois !

Lorsqu’il quitta sa grotte, il utilisa son zen (« châle » traditionnel) comme une aile et partit en volant, tout en chantant sa réalisation. C’est l’un des mahâsid­dhas, des grands accomplis Kagyüpa. L’endroit où il médita est encore aujourd’hui un lieu de pèlerinage.

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