LA PRATIQUE DU DHARMA DANS LA VIE QUOTIDIENNE CONTEMPORAINE

4.2. L’étude et la pratique du dharma

«Au début, acquiers la compréhension du dharma,
Comme l’affamé devant un bon repas ;
Au milieu, gagne la compréhension de l’esprit,
Comme celui qui découvre un immense joyau ;
À la fin, développe la compréhension de la non-dualité,
Comme s’effondre l’ultime supercherie du charlatan.»
Gampopa, Le Précieux Rosaire de la voie sublime.

Comment écouter le dharma

Il est important de recevoir le dharma de façon adéquate, c’est-à-dire avec respect et sans attitudes erronées. Ces attitudes sont trois : écouter le dharma sans y être ouvert ; nous serions alors comme un récipient renversé, de l’eau y serait-elle versée qu’il n’en retiendrait rien. Ensuite, non seulement faut-il que l’enseignement nous pénètre, mais encore faut-il que nous le retenions et le gardions présent à l’esprit. Si nous entendons l’enseignement puis l’oublions, nous sommes comme un récipient percé. La troisième faute serait qu’au moment de recevoir le dharma, nous soyons en proie à des passions. Écouter le dharma avec l’esprit perturbé est comme manger une nourriture agréable mélangée à du poison : elle est bonne dans un premier temps, mais plus tard le poison nous rend malade.

L’attitude de respect et de confiance consiste à recevoir le dharma avec l’esprit joyeux, attentif, et à considérer le lama qui nous transmet l’enseignement non pas comme une personne ordinaire, mais comme le bouddha Shâkyamuni lui-même. Elle exige aussi que nous considérions ceux qui reçoivent l’enseignement avec nous non pas selon leur état habituel, mais en reconnaissant en chacun d’eux la nature de bouddha. Nous considérons aussi que les sons de l’enseignement que nous entendons sont l’union du son et de la vacuité, et qu’ils possèdent les soixante caractéris­tiques de la parole de bouddha. Cette attitude est importante pour nous ouvrir à l’influence spirituelle et pour écarter les émotions perturbatrices.

Requérant l’enseignement, il est juste que nous nous considérions comme un malade atteint de l’ignorance accompagnée de son cortège d’illusions, que nous considérions le lama qui le ­donne comme un médecin, et le dharma lui-même comme le remède à notre maladie.

En outre, il faut que notre motivation en écoutant et en pratiquant le dharma soit d’arriver à l’éveil pour le bien de tous les vivants. Quelle que soit l’activité du dharma, ce préliminaire qu’est l’esprit d’éveil, l’éveil du cœur-esprit, est indispensable.

Pratiquer dans la vie ordinaire

La pratique juste du dharma s’accomplit à chaque instant, dans n’importe quelle situation, que nous marchions, que nous mangions ou travaillions, quoi que nous fassions. Toutes les activités de la vie quotidienne sont des situations en lesquelles il est po­s­sible d’abandonner ce qui est négatif, de cultiver ce qui est positif, et de se consacrer ainsi au dharma. De plus, à chaque instant, nous pouvons utiliser notre corps, notre parole et notre esprit pour quelque chose de positif1Voir le chapitre précédent : Vivre le dharma au quotidien..

Ayant présents à l’esprit la précieuse existence humaine, l’impermanence, les défauts du samsâra et la causalité du karma2Voir supra Les pratiques préliminaires communes., nous pouvons nous simplifier la vie, renonçant à des activités extérieures pour nous consacrer profondément à la pratique. Il est même important, pour nous qui avons de multiples activités, qui allons et venons de par le monde, de pouvoir faire une pause, de nous accorder quotidiennement un moment de répit consacré à la pratique spirituelle.

Pratiquer en relation avec un centre du dharma

Pour la plupart des gens, il n’est pas possible de vivre dans un centre du dharma, mais vous avez tous des congés et, toutes les semaines, il y a un week-end. Si vous utilisez ces périodes de temps libre pour pratiquer plus intensément que vous ne le faites durant la semaine, ce sera excellent. Vous pouvez, à ces moments-là, aller écouter les enseignements dans un centre du dharma, y pratiquer la méditation, faire retraite, poser vos questions et dissiper vos doutes. C’est leur raison d’être.

Ceux qui résident dans un centre du dharma sont dans une situation privilégiée, particulièrement favorable, puisqu’ils sont à proximité du dharma et d’un lama dont ils peuvent recevoir régulièrement l’enseignement. La vie dans un centre du dharma est organisée de telle sorte que toutes les activités soient tournées vers la pratique. Dans cette situation, les agitations du monde et de la vie habituelle sont moindres ou inexistantes. C’est un environnement très favorable à l’étude et à la pratique du dharma.

Pratiquer en retraite

Être en retraite, c’est, pendant un certain temps – quelques jours de vacances par exemple, ou le laps de temps dont on dispose – se mettre à l’écart de toutes les formes de distractions et d’agitations extérieures. Dans cette situation de retrait, isolé des distractions, l’esprit peut se tourner entièrement vers la pratique et y consacrer toute son énergie, n’ayant pas d’autres activités.

D’une façon générale, être ainsi en retraite, dans l’isolement et le silence, offre les conditions les meilleures pour pratiquer la  ­méditation, et c’est un cadre particulièrement utile à l’apprentissage de shamatha-vipashyanâ.

Une retraite a pour but de favoriser l’absence de distractions, mais pour la pratique, l’essentiel dépend encore de soi, de son attitude intérieure ; entrer en retraite sans une motivation juste empêche de profiter véritablement des bienfaits de cette situation. Dans la retraite elle-même, sans énergie ni discipline, rien n’est accompli, pas plus qu’à l’extérieur, d’ailleurs. Sans motivation juste ni énergie, quand bien même irions-nous dans l’endroit le plus isolé au sommet d’une montagne vivre comme un animal sauvage, cela ne développerait que notre orgueil.

Par contre, avec la motivation et la détermination justes, une retraite est la situation idéale pour pratiquer la méditation et progresser rapidement.

La retraite de trois ans

Au Tibet, il y avait de nombreux ermites qui avaient renoncé à toute activité ordinaire et méditaient dans des grottes, comme le fit Milarepa. Cette façon de pratiquer est merveilleuse, mais avec la dégénérescence, petit à petit la tradition érémitique a décliné. C’est alors que de grands lamas comme Jamgön Kongtrül Lodrö Tayé ont vu l’utilité d’offrir le cadre de pratique de la retraite de trois ans. C’est leur activité qui est à l’origine de cette tradition.

En Occident, le dharma commence à peine à se développer, il n’y a que quelques années qu’il y a été introduit, et sa porte ne fait encore que s’entrouvrir. Observant la situation de l’Occident, j’ai constaté que les Occidentaux sont des gens très occupés, très engagés dans le monde par leur travail, et fort pris par leurs activités quotidiennes. Il m’a semblé que la pratique dans un centre de retraite serait une bonne méthode pour eux car elle offre la possibilité, pendant trois ans, de se consacrer complètement à la pratique du dharma et, ainsi, d’en retirer d’énormes bénéfices. Ayant moi-même fait cette retraite, et en ayant aussi été directeur – « drupön » en tibétain –, j’en connais bien les possibilités et pense qu’elle peut être très bénéfique.

Aussi ai-je fondé un premier centre pour la retraite de trois ans en France ; ensuite de nombreux autres se sont développés au Canada, en Suède, aux États-Unis et d’autres encore en France. Des ­centres de retraite Nyingma et Kagyü ont également été fondés par d’autres lamas.

Au Tibet, beaucoup de personnes se consacraient à la vie monastique, mais très peu nombreux étaient ceux qui faisaient des re­traites ; ceux qui entreprenaient une retraite de trois ans le faisaient de leur propre initiative, à partir de leur motivation personnelle. Si l’engagement monastique était une façon de sortir du cycle mondain habituel et de se hisser tant soit peu au-dessus de celui-ci, une retraite était comme une sorte de deuxième échelon, une entrée profonde dans la pratique effective des enseignements, devenir lama étant tenu en grande estime.

Les Occidentaux qui choisissent d’accomplir une telle retraite de trois ans le font davantage encore par leur motivation, car personne ne les y a incités ; il n’y a pas un roi, un président ou des parents qui les y aient poussés ; cela part vraiment de leur aspiration personnelle, d’une excellente motivation intérieure. Au regard de l’imperma­nence, ce n’est jamais une erreur que de renoncer à quelque chose d’extérieur pour se consacrer pleinement et profondément à la pratique.

Une telle retraite est la meilleure façon de pratiquer le dharma intensément pendant trois ans, sans souci mondain, et sans les distractions habituelles. Cette période offre les conditions les plus favorables pour que toutes les énergies du corps, de la parole et de l’esprit soient consacrées aux pratiques les plus importantes du vajrayâna : sâdhanas des yidams, yogas de Niguma, les Cinq enseignements d’or, Mahâmudrâ, etc.

Il est important que ceux d’entre vous qui envisagent de faire cette retraite de trois ans dans l’avenir s’y préparent très bien ; et si vous pouvez la faire elle donnera un sens extraordinaire à votre vie humaine.

Comme j’ai constaté qu’il était difficile de garder des vœux monastiques en Occident, j’ai demandé aux personnes souhaitant faire la retraite de trois ans d’observer la chasteté simplement durant le temps de la retraite. Pendant cette période, ils vivent en célibataires et plongent pleinement dans la pratique. Après la retraite, ceux qui le souhaitent peuvent recevoir des engagements monastiques définitifs, et les autres reprendre leur vie familiale dans le monde.

Même si vous ne persévérez pas après la retraite dans un engagement complet dans le dharma, trois ans auront quand même été consacrés à déployer toute votre énergie dans la pratique de ce qui est extrêmement positif et cela constitue déjà quelque chose d’extraordinaire.

La retraite de trois ans offre l’opportunité de bien connaître le dharma et les pratiques du vajrayâna ; sur cette base, il est ensuite possible de poursuivre une vie de pratique et éventuellement de longues retraites solitaires. C’est ainsi qu’il est possible d’atteindre l’état de bouddha en cette vie même.

Étude du tibétain

D’une façon générale, il n’est pas nécessaire de connaître le tibétain pour bien pratiquer le dharma. Néanmoins, pour un engagement profond tel que la retraite de trois ans, bien étudier le tibétain du dharma est une chose extrêmement importante, du fait qu’elle permet, pendant la retraite, de comprendre tout ce qui est exposé dans les textes de pratique et les commentaires traditionnels tibétains. Si je dis aux personnes qui feront la retraite d’apprendre le tibétain, ce n’est pas parce que je suis tibétain, de toute façon je ne me considère pas spécialement comme tibétain, je suis khampa… et quand je parle, c’est dans un dialecte que tout le monde a du mal à comprendre. En tout cas, ce qu’il faut connaître et ce qui est important, c’est le tibétain classique du dharma.

Au Tibet il n’y avait pas toutes les facilités de l’Occident, comme les moyens de transport, les voitures, et toutes les sortes de machines-outils. En fait, il n’y avait pratiquement que trois métiers : laboureur, éleveur ou commerçant. Par contre, énormément de personnes se consacraient à l’étude et à la pratique du dharma. Lorsque les Occidentaux commencèrent à introduire au Tibet un certain confort matériel, la langue tibétaine n’était pas du tout adaptée à la modernité et ne comportait aucun terme approprié aux sciences et techniques modernes. C’est un peu la même chose en Occident, mais en sens inverse, en ce qui concerne le dharma. Le tibétain est une langue traditionnelle possédant un vocabulaire très riche dans le domaine de la méditation et des pratiques spirituelles, qui n’a pas d’équivalent dans les langues occidentales. Lorsque des scientifiques occidentaux se rendent au Tibet pour partager ce qu’ils connaissent, il leur faudrait d’abord, dans un premier temps du moins, enseigner leur propre langue. Des Tibétains pourraient alors étudier à leur suite ; et ce n’est que dans une étape ultérieure qu’une terminologie adéquate pourrait être mise au point et transposée en langue tibétaine. Ici, c’est l’inverse : pour que le dharma puisse être profondément compris en Occident, il faut d’abord que des Occidentaux étudient et comprennent bien le tibétain. Néanmoins, j’ai l’espoir que dans l’avenir tout pourra être traduit de façon juste ; et une fois que tout le dharma aura pu être transposé dans une terminologie occidentale adéquate, à ce moment-là, il n’y aura plus besoin du tibétain. Mais pour l’instant, toute personne qui souhaite étudier le dharma dans sa profondeur, et davantage encore celles qui se préparent à la retraite de trois ans tireront un grand bénéfice de l’étude du tibétain. Si vous étudiez régulièrement, un tout petit peu chaque jour, vous deviendrez vite érudits.

La course du pou et de la puce

Un jour, quelqu’un proposa à un pou et à une puce de faire une course, le vainqueur remportant un prix. Chacun devait courir déposer au but une charge d’herbe. La puce accepta, fort contente, car elle savait qu’elle pouvait aller beaucoup plus vite que le pou. Le pou accepta aussi, car il savait qu’avançant avec énergie et sans interruption, il pourrait arriver le premier à destination. Le départ fut donné, la puce fit un grand bond en avant, mais renversa tout son fardeau qu’elle dut ramasser avant de repartir pour un prochain saut. Chaque fois, dans sa précipitation et ses grands bonds, elle renversait toute sa charge, et perdait beaucoup de temps à la ramasser. Bien qu’elle fût capable de faire de très grands bonds, elle ne progressait que lentement. Le pou, de son côté, n’avançait pas vite, mais sans rien renverser ni s’arrêter. Et c’est lui qui fut le vainqueur.

La discipline monastique

Pourquoi devenir moine ou faire une retraite de trois ans ? Parce que de telles situations sont favorables à une pratique profonde et efficace du dharma, et offrent un cadre de pratique optimal. La vie monastique est solitaire3Voir supra La voie de la discipline., ce qui donne la liberté de se consacrer complètement à la pratique : sans conjoint, sans enfants, sans problèmes financiers ni soucis familiaux, les sources de préoccupations ordinaires sont écartées, et une disponibilité beaucoup plus grande pour l’étude et la pratique du dharma est acquise.

Les circonstances habituelles nous exposent couramment à de nombreuses situations passionnelles très prenantes, et notre disponibilité pour la pratique est très limitée. L’orientation générale de la vie ordinaire nous pousse davantage vers les émotions conflictuelles que vers l’éveil. La pente de la vie habituelle est celle des passions ; nos activités sont comme un tronc d’arbre sur le flanc d’une montagne : il est facile de le faire descendre, mais très difficile de le faire monter. C’est pourquoi la discipline monastique peut être très précieuse, mais elle ne va pas sans renoncement ni sans difficultés.

Le grand départ du bouddha Shâkyamuni

Le bouddha Shâkyamuni lui-même était dans sa jeunesse un prince destiné à la royauté ; il avait été prédit qu’il serait bouddha ou mo­narque universel. Son père, qui le tenait en grande estime, était très attaché à lui et souhaitait qu’il devienne ce grand roi. Le futur Bouddha perçut néanmoins la souffrance des êtres, la réalité des souffrances vécues : de la naissance, de la maladie, de la vieillesse et de la mort. Il comprit que la royauté et le pouvoir qui lui est attaché n’étaient pas ce qui convenait le mieux pour aider véritablement les êtres. Il décida donc de ne pas suivre cette carrière royale et de se consacrer à la vie spirituelle. Son père, ayant eu écho des intentions du jeune Siddharta, tenta de l’empêcher de quitter le palais : il le fit garder. En dépit de cela, le futur Bouddha, aidé par des êtres divins, s’enfuit une nuit avec son cheval et son écuyer. Puis, ayant ainsi réussi à quitter le palais, il abandonna ses parures royales, se coupa les cheveux, devint un ascète et se consacra entièrement à la pratique.
Grâce à son renoncement, il devint finalement le parfait Bouddha et il acquit la capacité d’aider des vivants sans nombre.

Le bouddha Shâkyamuni enseigna :
Cent naissances comme monarque universel
sont bien peu de choses, comparées
à une seule vie véritablement engagée dans le dharma.

Toutes les naissances comme roi sont toujours tournées vers le samsâra, alors que l’engagement dans le dharma ouvre à l’éveil.

Au-delà des attachements

Actuellement, nous avons toutes sortes de fixations sur ce que nous voyons, entendons, goûtons, sentons, sur toutes les expé­riences que nous faisons. L’expérience de nous-mêmes, aussi bien que celle du monde extérieur, sont le résultat de ces fixations, et elles sont la source de nos multiples illusions. Comprendre la nature de l’esprit nous en libère, ainsi que des souffrances qui en découlent.

Mais les fixations existent aussi dans les divers domaines du dharma. Lama, bouddha, yidam existent véritablement, et c’est par leur existence véritable que nous pouvons recevoir leur inspiration, et c’est grâce à elle que nous pouvons atteindre les accomplissements et réaliser la nature de l’esprit. Néanmoins, leur existence véri­table n’est pas matérielle comme celle d’un cristal, de l’or, du fer ou d’une pierre, etc. : leur essence est vacuité, leur nature est clarté et leur apparence, l’expression de capacités illimitées. Il est essentiel de les considérer ainsi, sans penser qu’ils existent comme quelque chose de matériel4Voir supra Les refuges extérieur, intérieur, et absolu.. C’est en les comprenant ainsi qu’il convient d’avoir confiance en eux, de fusionner son esprit avec le leur, et de demeurer absorbé en cet état. Certains se fourvoient dans leur pratique, ils ont confiance en le lama, le bouddha, et pensent qu’ils existent réellement, avec une forme, une ouïe, un goût, etc. C’est un point qu’il est extrêmement important de bien comprendre et, de nos jours, ce n’est pas toujours le cas.

Une parole célèbre dit :

     Que l’on s’y attache,
Et il n’est pas de plus grand lien que la divinité ;
Que l’on se fixe dessus,
Et il n’est pas de plus gros obstacle
Que les accomplissements.

Si nous nous attachons à la déité, elle nous tiendra prisonniers et nous resterons liés par elle. De même, si nous nous attachons aux accomplissements de la pratique, ils deviennent d’immenses obstacles.

Les attachements aux choses de ce monde sont comme des ­cordes de paille. Les attachements aux choses du dharma sont comme des chaînes en or. La valeur change, mais il est plus facile de se libérer des premières que des secondes.

Les ancêtres de la lignée : Les différents styles de pratique

Il ne faut surtout pas penser qu’il est impossible de pratiquer correctement sans être moine ou hors d’une retraite de trois ans : ce serait une grave erreur. Il ne s’agit pas que tout le monde devienne moine ou fasse une telle retraite ; et il est tout à fait possible d’arriver à l’éveil autrement.

Dans la tradition du vajrayâna, il y eut de nombreux accomplis tels que Tilopa, Nâropa, et bien d’autres, qui n’étaient pas moines et n’ont jamais fait de telles retraites. Certains sont même arrivés à l’éveil en ayant une conduite tout à fait non conformiste : ils se sont adonnés à de nombreuses activités extravagantes, des activités « folles »5« Nyönpa » en tibétain. et sont arrivés à l’éveil en celles-ci.

Dans la tradition Kagyü, il y eut des détenteurs de la lignée très différents ; à Tilopa et Nâropa6Voir supra l’anecdote Nâropa rencontre Tilopa. succéda Marpa Le Traducteur qui était père de famille et agriculteur. Il avait toutes sortes d’activités, ses voisins le considéraient comme orgueilleux et coléreux ; il était plutôt mal vu, réputé comme quelqu’un de difficile à vivre. Néanmoins, Marpa avait réalisé les enseignements ; tout en vivant une vie extrêmement ordinaire, il est arrivé à l’éveil ; c’est lui qui est l’origine de la lignée Kagyü au Tibet.

Le principal disciple de Marpa fut Milarepa7Voir supra l’anecdote Les méfaits et les épreuves de Milarepa., qui n’était pas non plus moine mais « pratiquant dans la vie ». Il choisit un mode de vie différent de celui de son maître puisqu’il abandonna toutes les activités mondaines pour méditer en yogi solitaire dans les grottes des montagnes. Il vivait comme un animal sauvage fuyant le monde. Au travers de cette pratique, il est aussi parvenu à l’éveil.

Le principal disciple de Milarepa fut Gampopa. Durant la première partie de sa vie, Gampopa était père de famille et pratiquait le dharma, avec les engagements de pratiquant dans la vie. Il avait une très jolie femme et des enfants. Un jour, sa femme fut frappée d’une maladie mortelle, et ils surent, l’un comme l’autre, qu’elle allait mourir prochainement. Gampopa, extrêmement attristé, lui demanda de ne pas s’attacher à lui, et déclara qu’il ne se remarie­rait pas et se consacrerait complètement au dharma, en devenant ­moine. Avant qu’elle ne meure, il posa sur sa tête un livre du dharma qu’il avait toujours avec lui et en fit serment. Sa femme mourut ­aussitôt après et Gampopa tint sa promesse. Dans un premier temps, il reçut l’ordination et son éducation monastique dans la lignée Kadampa ; c’était un excellent moine qui observait soigneusement tous les préceptes. Ensuite, il rencontra Milarepa8Voir supra l’anecdote Gampopa rencontre Milarepa., devint son disciple, pratiqua à ses côtés, arriva à la réalisation et fut lui-même détenteur de la lignée Kagyüpa. Il eut quatre principaux disciples qui sont à l’origine des quatre ramifications principales de la lignée Marpa Kagyü.

Parmi ses disciples, il y eut Düsum Khyenpa, le premier Karmapa puis, dans sa lignée, de grands lamas tels que les Karmapas, les Situpas, les Shamarpas et d’autres qui manifestèrent l’activité éveillée et œuvrèrent pour le bien des êtres en ayant, si l’on peut dire, une position royale ou princière.

Milarepa eut d’autres disciples que Gampopa, en particulier trois hommes et quatre femmes, les « Posum-Moshi », qui n’étaient pas moines et qui, dans leur vie d’ermites laïques, sont aussi arrivés à l’éveil.

Il y eut donc dans la lignée tous les styles de cheminements possibles9Voir aussi supra L’histoire de Sukhasiddhi.. Ce qui est important est l’état d’esprit et la qualité de la pratique. Le statut extérieur – moine, marié, ermite ou père de famille – n’est pas déterminant ; dans toutes les situations, il est possible d’arriver à l’éveil.

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