La voie de la libération

3.4. Le vajrayâna, voie de la transmutation

«Un seul flambeau dissipe les ténèbres
Amassées par l’obscurité de mille éons.
De même, en notre esprit,
un seul instant de claire lumière
Dissipe l’ignorance et les voiles,
Pendant des kalpas accumulés.»
Tilopa, Le Mahâmudrâ du Gange.

3.4.5. La progression du vajrayâna

Voie progressive et voie immédiate

Le dharma en général et le vajrayâna en particulier proposent de nombreuses méthodes pour dissiper les voiles et laisser apparaître la claire lumière de l’esprit.

Ces voiles, comparables au brouillard et aux nuages, sont initialement si denses qu’ils ne laissent rien transparaître ; mais lorsque se dissipent le brouillard, puis les épais nuages inférieurs, et enfin le léger voile des brumes d’altitude, progressivement l’espace céleste se révèle et le soleil brille dans toute sa splendeur. Pareillement, le double développement de bienfaits et d’intelligence immédiate est comme le vent qui dissipe les voiles de l’esprit jusqu’à les faire tous disparaître, révélant l’espace lumineux de la claire lumière. C’est l’image de la voie progressive.

Toutefois il existe aussi une voie immédiate, instantanée. Sup­posons qu’une pièce ait été plongée dans l’obscurité pendant des siècles ; allumer l’électricité suffit pour l’éclairer et, en un instant, dissiper l’obscurité. De même, si un disciple pourvu de confiance, de diligence et d’intelligence spirituelle rencontre un maître détenteur du dharma profond et si celui-ci l’ouvre à la compréhension de Mahâmudrâ ou de Dzogchen, tous les voiles et toute l’obscurité de l’ignorance peuvent être dissipés en un instant, tout comme l’électricité éclaire la pièce instantanément.

Les enseignements du vajrayâna combinent les deux voies, et ce sont surtout les diverses réceptivités des disciples qui les orientent plutôt vers une approche que vers l’autre. Ses méthodes de réalisation sont adaptées aux besoins, aux facultés et aux réceptivités différentes (supérieures, moyennes ou inférieures) des divers pratiquants.

Les étapes de la progression

Pour les pratiquants dont les facultés sont moyennes ou inférieures, la pratique du dharma en général et du vajrayâna en particulier consistera d’abord, par diverses méthodes, à développer bienfaits puis intelligence immédiate. Ils adopteront la discipline extérieure du hînayâna1Voir supra La voie de la discipline et Le karma et la discipline extérieure., méditeront les préliminaires communs qui consistent à développer une conscience aiguë de la valeur de la précieuse existence humaine et de son sens, de l’impermanence et de la mort, du karma et des problèmes et souffrances inhérents à toutes les existences conditionnées du samsâra2Pour ces quatre idées, voir infra Les pratiques préliminaires communes.. Ils pratiqueront les six vertus parfaites : du don, de la discipline, de la patience, de l’effort, de la méditation et de la compréhension3Voir supra Les six vertus parfaites.. Ils apprendront à apaiser et à stabiliser leur esprit par la pratique de shamatha, la tranquillité du mental, et à comprendre sa nature dans la pratique de vipashyanâ, la claire vision4Voir supra Shamatha-Vipashyanâ.. Ils s’entraîneront à une attitude altruiste de compassion par la pratique de lojong, l’entraînement de l’esprit, et la méditation de tonglen, l’accueil et le don5Voir supra Tonglen..

Ensuite, ils se prépareront avec les fondations du vajrayâna, les ngöndros. Ces « préparations au vajrayâna » ou « ngöndros » consistent en quatre ou cinq pratiques accomplies chacune cent mille fois : une pratique spéciale du refuge et de bodhicitta associée à des prosternations, la méditation purificatrice de Vajrasattva, la pratique des deux développements par l’offrande des mandalas, et le yoga du lama6Voir infra Les Ngöndros..

Après ces préparations, ils accompliront la pratique de familiarisation avec un yidam par la récitation de son mantra jusqu’à ce qu’apparaissent les signes de succès7Voir infra La pratique d’un yidam..

Finalement, ils pourront aborder les pratiques yogiques ultérieures avec les yogas spirituels des six doctrines de Niguma ou de Nâropa, c’est-à-dire les yogas de tumo, du corps illusoire, de l’état de rêve, de la claire lumière, du bardo et de l’éjection de la conscience. Ils réaliseront ainsi progressivement la félicité vide qui est le sens de Mahâmudrâ8Voir infra Les pratiques yogiques ultérieures.. Pratiquant ainsi, ils parcourront graduellement les degrés de bodhisattva ou voies de la réalisation et parviendront ultimement à l’état de bouddha.

Les pratiquants aux facultés sublimes9Voir infra Transmission et réceptivités.  sont ceux dans le cœur desquels la seule connaissance du sens du dharma éveille renoncement vis-à-vis du samsâra, aspiration à la délivrance, compassion pour tous les êtres et confiance envers le lama et les Trois joyaux. 

Le sens de la vacuité, la pratique de Mahâmudrâ ou de Dzogchen les remplissent d’une grande joie et suscitent en eux une profonde aspiration. Leur corps, leur parole et leur esprit ayant été mûris par la transmission de l’habilitation, ils reconnaissent de façon fulgurante le sens de la pratique de Mahâmudrâ ou de Dzogchen. Ils savent méditer dans la sphère de non-méditation, non-saisie, non-distraction et il n’y a alors aucun doute qu’ils atteindront l’état de bouddha en cette vie ou au début du bardo10Voir infra Mahâmudrâ et Dzogchen : la voie immédiate de l’autolibération. .

L’éveil de Mipam Gönpo

Il y eut autrefois au Tibet un homme du nom de Mipam Gönpo, qui estimait beaucoup le dharma mais avait passé toute sa vie à faire du commerce et à s’occuper de toutes sortes d’activités mondaines, tant et si bien qu’il n’avait jamais pris le temps de le pratiquer. À l’époque de l’histoire, il avait quatre-vingt-dix-neuf ans, ne pouvait plus se déplacer et devait rester couché toute la journée. Il était fort triste et se disait : « J’ai fait du commerce toute ma vie sans pratiquer le dharma, je vais maintenant mourir et ne sais ce qui va se passer. »

En cette même époque, vivait un très célèbre lama, du nom de Vairochana, et le vieil homme pensa : « Si au moins je pouvais rencontrer Vairochana et lui demander un enseignement. » Vairochana perçut son souhait et vint un jour le voir. Il entra :

« Mais qui êtes-vous ?, demanda le vieil homme.
– Je suis Vairochana. »
Extrêmement heureux, Mipam Gönpo lui expliqua qu’il allait bientôt mourir et qu’il aimerait recevoir un enseignement. Vairochana lui dit :
« Je vais te donner un enseignement, mais assieds-toi ; quand on est allongé l’esprit n’est pas très clair. »

Il eut du mal à s’asseoir et, comme il ne pouvait garder l’assise, il utilisa ce que l’on appelle un bâton de méditation (une sorte de mentonnière avec un support reposant au sol) et une ceinture de méditation, qui lui per­mirent de se tenir à peu près droit. Vairochana lui donna ensuite les instructions de Mahâmudrâ, et l’ouvrit à la nature de l’esprit. Le vieil homme put méditer et, en l’espace de quelques jours, il réalisa Mahâmudrâ. C’est là un exemple d’individu de capacité supérieure.

Dans les chapitres suivants, nous allons aborder succinctement cette progression et voir d’abord les préparations ou préliminaires dits « communs », c’est-à-dire les quatre idées qui renversent notre mentalité, puis les ngöndros, les pratiques préliminaires « spé­ciales » à la transmission de Mahâmudrâ, puis la pratique d’un ­yidam, les pratiques ultérieures des yogas de Niguma ou de Nâropa, et finalement la pratique de Mahâmudrâ proprement dite.

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