L’esprit et ses transformations
2.2 Vies, morts et renaissances
2.2.1. L’esprit après la mort
«Si je dis qu’il y a un soi, on l’imaginera comme éternel,
Et si je dis qu’il n’y a pas de soi, on s’imaginera
qu’à la mort on périt complètement.
Samyuttanikâya.
Une vie ou des vies
Toutes les traditions spirituelles et religieuses de ce monde s’accordent sur l’existence d’un devenir au-delà de cette vie, et toutes préparent la ou les vies à venir. Si, après la mort, il n’y avait rien, si notre existence se limitait à cette vie présente, nous pourrions nous contenter des connaissances et des activités du monde ; une pratique spirituelle, quelle qu’elle soit, aurait moins de raison d’être.
Penser que la mort est une fin dernière débouchant sur le néant est le fait d’une grande étroitesse d’esprit. C’est un peu comme si, alors que nous habitons la France, nous pensions que, hors des frontières de ce pays, l’espèce humaine cessait d’exister !
Bien qu’elles soient en accord sur un devenir après la mort, les diverses traditions ont des perspectives différentes sur ce devenir. Certaines enseignent que la mort n’est pas suivie de plusieurs vies futures mais d’une seule, éternelle, alors que le dharma enseigne la multiplicité de ces vies jusqu’à la libération.
Une pensée superficielle considérera sans doute ces deux points de vue antagonistes, mais ils ne le sont pas ; c’est en fait une question de présentation. Prenons un exemple : supposons qu’étant en France, vous interrogiez quelqu’un sur ce qu’est la Suisse et que cette personne vous réponde simplement que c’est un pays agréable. La réponse est exacte mais très globale. Une autre personne pourrait faire la même réponse générale tout en y ajoutant une description précise, expliquant ce qui fait le charme de chaque région et de chaque ville. Cette présentation détaillée n’infirme nullement les propos du premier interlocuteur.
De la même manière, le christianisme, par exemple, offre une présentation globale de l’au-delà, enseignant que la vie se poursuit après la mort et que les conditions de la vie à venir dépendent de cette vie présente. Pour un chrétien, la vertu conduit au paradis, le péché en enfer, et l’essentiel est dit.
Le dharma, de son côté, enseigne la possibilité de nombreuses vies futures ; les actes négatifs commis lors de cette vie conduiront à des existences douloureuses, tandis que les actes positifs conduiront à des existences heureuses et, finalement, à l’éveil.
Les deux traditions s’accordent parfaitement sur la nécessité d’abandonner ce qui est négatif et d’adopter ce qui est positif, ainsi que sur les résultats de ces deux comportements. Aucune contradiction ne les oppose, la différence est que l’une choisit une présentation résumée, et l’autre une présentation détaillée.
La mort et l’éternité de l’esprit.
L’espace est au-delà du temps : on ne peut pas dire qu’il ait commencé d’exister à un moment donné et qu’il doive cesser d’exister après un certain laps de temps. De même, la vacuité de l’esprit est au-delà du temps, et l’esprit, dont la nature est vacuité, est ainsi essentiellement éternel ou intemporel. Éternel, l’esprit est, par nature, au-delà des naissances et des morts, celles-ci n’existant qu’au niveau de ses illusions.
Lorsque, ignorant sa nature, l’esprit s’est engagé dans la voie des illusions, il transmigre sans fin en celles-ci, de naissance en naissance. Conditionné par l’ignorance et le karma, il nous a fait vivre dans le passé d’innombrables existences. Dans l’avenir, il nous contraindra à en reprendre de nouvelles : l’esprit transmigre d’existence en existence, d’une illusion à une autre, aussi longtemps qu’il n’a pas atteint la libération, c’est-à-dire l’éveil du bouddha ou d’un grand bodhisattva.
Dans l’état où nous sommes présentement, nous ne connaissons pas nos vies antérieures, nous ne savons pas d’où nous venons, où nous irons, ni dans quel état notre esprit transmigrera. Cependant, ce que nous expérimentons actuellement n’est qu’une transition, un passage parmi une immensité infinie de possibilités d’existences et de mondes, au-delà de nos conceptions et de notre imagination.
Il nous est difficile d’accepter l’idée d’existences antérieures et postérieures, comme celle de l’existence d’autres mondes. Souvent nous croyons ou avons l’impression que notre monde, nos expériences et notre vie de maintenant sont les seuls. Entendre parler d’autres mondes est pour nous aussi extravagant que pour une minuscule araignée d’entendre parler des étoiles. Elle vit dans l’univers de sa toile et n’a même pas l’idée de ce que peut être une maison, sans parler d’une rue ou d’une ville ! Il est difficile de sortir de ses propres perspectives mentales : même des Tibétains ne nous croient pas lorsque nous leur parlons des pays occidentaux. Imaginez un Tibétain à qui l’on décrit une finale de coupe de football américain aux États-Unis, sur un terrain climatisé, avec des plantes artificielles et un dôme de verre !
L’attitude habituelle pourrait être comparée à la situation de quelqu’un qui, se réveillant un matin, a perdu toute mémoire et a oublié tout ce qui s’est passé les jours précédents : cette personne considère la journée qu’elle vit comme unique et, le soir en s’endormant, elle pense que tout est fini !
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